Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Contraint et forcé
Autour de mésaventures personnelles à la réservation de billets, décembre 2022
Une réflexion en passant au sujet de difficultés rencontrées à la réservation d’un simple aller-retour pour un séjour envisagé début janvier 2023 en Vendée, dont l’absence imposée et remarquée de guichets dans ma région a contribué, me renvoyant de fait aux automates, au site web du transporteur national et au 36 35, par son lot de contraintes et de crispations :
– 36 35 : demande de modification de l’aller-retour pris en option plus tôt mais complications et impossibilité manifeste de changer le placement pour du côte à côte puis raccrochage de la ligne sans préavis,
– SNCF Connect : tentative de connexion (création de compte), modification de l’aller impossible, nouvelle commande et demande de placement « A côté d’un proche » avec car de Nantes à Fromentine La Barre de Monts à 12 € seulement (contre les 15.90 € annoncés sur le site de l’autocariste) mais mise en option impossible et refusée,
– Borne Libre Service : écran tactile (…), modification de l’aller impossible, nouvelle commande mais placement côte à côte impossible (option absente sur borne mais théoriquement accessible en ligne), car de Nantes à La Barre de Monts Fromentine à 15.90 € (tarif « normal » et non « éco »), tentative d’achat infructueuse (2 abandons débit sans cause identifiée),
– SNCF Connect (bis) : nouvelle commande et demande de placement « A côté d’un proche » avec car de Nantes à Fromentine à 12 € seulement (contre les 15.90 € annoncés sur le site du transporteur routier) mais mise en option toujours impossible et refusée. Je n’abandonne pas cette fois et me résous à régler en ligne (encore faut-il détenir une carte bancaire), nouvelles références pour impression mais une fois en gare sur BLS, l’opération est interrompue (« Votre billet n’est pas imprimable en gare », mention effectivement reprise sur mes courriels consultés après passage sur automate).
Conséquences : nécessité d’imprimer soi-même les billets (encore faut-il disposer d’une imprimante) ou de disposer d’un téléphone « intelligent » pour montrer patte blanche en cas de contrôle, rien qu’une trentaine d’e-mails de confirmation (une quinzaine par référence), de l’énergie et du temps…
D’autres l’ont constaté et dit avant moi, mais la confrontation est rude, et il est « intéressant » de noter l’absence d’harmonisation des choix et des options d’un mode de réservation à l’autre (incohérent), par ailleurs édifiant de remarquer le choix opéré par les concepteurs de SNCF Connect dans la formule « choisie » en page d’accueil au niveau du moteur de recherche, le « Où voulez-vous partir ? » ne correspondant nullement à l’origine du parcours mais à sa destination (déroutant, un « Où voulez-vous aller ? » serait plus judicieux).
On pourra se dire qu’il ne s’agit que de détails, qu’il faut vivre avec son temps et que, selon la formule insupportablement consacrée, « c’est le sens de l’histoire », mais à l’instar des détails dans lesquels se cache le diable, c’est dans les rouages technologiques de notre temps que les hommes se perdent, contraints et forcés.
Incivilités – malveillance
Roule toujours
Gare de La Verrière, mardi 18 octobre 2022
Côté impair en gare, le train ROPO de 14h53 se glisse à quai et assure sa desserte. La rame est taguée, le matériel est pourtant neuf. Je me souviens des douteux propos qu’une connaissance de mes jeunes années scolaires recroisée une fois il y a quelques années en plein Versailles dans un bus m’avait tenus. Je revois ce frêle garçon, son personnage, investissant un rôle qui ne lui seyait pourtant guère, se vantant d’une « meuf » qu’il allait « baiser », s’essayant à de timides tentatives de graffeur (de rue) et se justifiant étrangement des dégradations de ce genre : le vieillissement des installations, des matériels et du parc roulant incitant ses sbires et lui-même à les commettre…
Ce pauvre type est-il toujours des nôtres ? Si oui, pour qui roule-t-il ? Anciens comme neufs, usés ou rutilants, les trains, eux, roulent toujours, rendant indifféremment service aux usagers, dont des gens comme lui…
Incivilités – malveillance
Hachés
Gare des Essarts le Roi et train PORO de 20h02 au départ des Essarts, à destination de Paris Montparnasse, mercredi 12 octobre 2022
Alors que je patiente tranquillement à quai, un homme, d’abord debout, vient s’asseoir à proximité de moi tout en écoutant sur je ne sais quel appareil nomade un genre d’afro house au son fragmenté ; il ferait défiler des vidéos à la chaîne en les coupant successivement que ça ne me surprendrait pas, l’usage étant devenu courant. Sur le quai d’en-face, un deuxième individu, qui le reconnaît, engage l’échange à haute voix avant de le rejoindre finalement.
A bord du train, un usager qui s’installe à distance écoute lui aussi des sons hachés par le haut-parleur de son téléphone mobile ; même supposition, cet homme ferait défiler des vidéos à la chaîne en les coupant successivement que ça ne me surprendrait pas, tant l’usage s’est démocratisé.
Je me rappelle mes premières années de « grand », dans les transports, où j’observais l’arrivée progressive des téléphones portables aux capacités de stockage de plus en plus gonflées et à l’interface toujours plus chiadée, permettant à tout un chacun d’écouter le programme de son choix…à un volume plus ou moins élevé selon la bonne appréciation (provocation) de l’emmerdeur en cause.
Je me souviens qu’à l’époque, tout aussi justifiés furent les reproches qu’on pouvait faire (et tout aussi pauvres furent leurs musiques), les gus écoutaient leurs sons en entier, rarement hachés, titre après titre. Aujourd’hui, la fluidité des interfaces des smartphones, couplée à une nette inclination déviante pour l’éphémère et l’immédiateté où l’impatience est reine (jusque dans les relations humaines…), nous donnent à observer des gens semblant incapables de rester postés devant un même « programme » sur leur écran au-delà de quelques secondes à peine.
En écho à cela, les plus observateurs s’intéresseront à la durée des plans cinéma et télé (émissions comme reportages), très souvent excessivement écourtés à moins de 10 secondes. Le sujet pourrait prêter à sourire ; il en dit pourtant long sur la façon dont on nous impose certains formats, pas moins notre manière d’apprécier ce qui nous est donné à voir et le (manque de) temps nécessaire à la concentration requise. La vie s’inscrit dans le mouvement, me rétorquera-t-on ; sûr qu’une exposition prolongée aux flux stroboscopiques de toutes sortes est gage de bien être et de sérénité…
A ma descente à La Verrière, une dame montant force quelque peu le passage, le regard rivé sur un fauteuil repéré plus tôt, fonçant à la hâte en direction du siège cible (la rame est pourtant loin d’être remplie à cette heure en semaine) ; on les connaît, ceux qui la jouent perso. et vous frôlent nonchalamment…
Combien de corrections et de leçons de savoir-vivre nous faudrait-il appliquer et transmettre dans ce pays fracturé pour que nous puissions davantage « vivre ensemble » ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Matériel roulant
Incivilités – malveillance – sûreté
6h20 porte à porte
Gare des Essarts le Roi, train PORO de 15h02 à destination de Paris Montparnasse, et train ROPO de 19h35 au départ de Montparnasse, à destination de Rambouillet, dimanche 25 septembre 2022
Départ anticipé, j’essuie un premier échec en découvrant une fois en gare l’absence du train PORO de 14h32, manifestement non prévu de circuler ; moi qui croyais en un plan de transport revenu à la normale concernant cette liaison de la « ligne N », week end compris, me voilà fait aux pattes, contraint d’attendre le suivant prévu une demi-heure plus tard.
Une fois parti des Essarts et « confortablement » installé à bord, monte plus loin sur le parcours un petit groupe de jeunes gens, manifestement étudiants sinon sur la fin, s’installant à proximité. La fille et les deux garçons en question parlent entre eux, abordant notamment les soirées médecine, où « tout le monde ken » (avec tout le monde…), ce qui annonce la couleur et donne le ton d’une partie de mon voyage. Les jeunes gens en question se tiennent cependant bien malgré le recours à un vocabulaire usant parfois d’une certaine familiarité argotique de banlieue quelque peu vulgaire, tristement en passe de se banaliser, et le trajet se fait dans des conditions qualifiables de normales.
A mon arrivée à Montparnasse, alors que je me redresse et manœuvre mon corps pour m’extirper du duo de sièges où j’ai cru bon de m’installer, mon genou gauche se cogne violemment contre la coque arrière du siège d’en-face, lançant une douleur caractéristique qui parlera à tous. Je peste alors nerveusement après ces nouvelles rames (Regio 2N), guère conçues pour les grands.
Ma traversée parisienne en métro jusqu’à la gare de l’Est se fait dans un environnement sonore agréablement ponctué de sonneries de téléphones mobiles intempestives, et les environs de la gare de l’Est où je débouche enfin m’offrent un bien curieux environnement par endroits : individus douteux, musique tonitruante, zone…
Au retour, ma traversée parisienne inverse en métro est ponctuée d’une déroute pour cause d’une ligne fermée (du dimanche au mardi) et de la présence d’un clochard en train de mendier au milieu d’une rame bondée…
Plan de transport dégradé persistant oblige, ma projection de retour depuis Montparnasse essuie le même type d’échec qu’à l’aller, et dans la demi-heure d’attente devant moi, je déambule, constatant comme à chaque errance en cette gare, les nombreuses et profondes transformations des halls en espaces commerciaux rutilants.
Enfin à bord du 19h35, mon dernier trajet ferroviaire du jour s’achèvera par un parcours dans la foule (il y a du monde…), accompagné d’une certaine faune, incluant un mendiant à l’oeuvre, le tout dans un environnement sonore rempli à nouveau de sonneries de portables intempestives ; je serai bien content d’arriver, pour un retour au calme salvateur, après une amplitude horaire de sortie de pourtant seulement 6h20 porte à porte.
Incivilités – malveillance – sûreté
« Amour » et « Bisous »
J’aborde peu voire très peu le métro, le bus ou le tramway dans Paris, me concentrant davantage sur mes transports de proximité que sont les trains et, dans une moindre mesure, les bus. Le nombre important d’anecdotes et d’événements en tous genres du fait de la concentration excessive d’habitants et d’individus en transit sur la capitale ne m’incitent guère à tenir une chronologie précise et régulière de ce que j’y vis lorsque j’y transite moi-même.
Cette note fait donc office d’exception ce jour.
Métropolitain parisien, vendredi 16 septembre 2022
Gagnant la station Gare de Lyon, parmi les dédales de couloirs, marchant un temps près de moi sans me calculer en apparence, deux jeunes hommes vêtus de noir causent, et leur démarche, vive et nonchalante, le ton de l’échange et ce qui en ressort sont sans équivoque : ils patrouillent, à la recherche d’une proie à racketter. Je les entends parler d’argent et de vol, relevant leur peu de considération à l’égard des donzelles qu’ils croisent (« Ca fait la belle (…) pas d’argent ! »), avant de les voir disparaître par les battants d’une sortie pris énergiquement à revers.
En amont des quais de la ligne 1, je croise un équipage de contrôleurs RATP en pleine opération, puis, à peine arrivé à quai, je remarque la présence d’un individu suspect assis sur un siège à distance des usagers en attente. C’est un jeune homme d’une vingtaine d’années, couvert de bandages sur les avant-bras, au regard bizarre, semblant alpaguer en invectivant les gens passer devant lui, notamment les filles. L’individu est vif, malgré sa nonchalance, à se demander s’il n’est pas sous produit. Dans le doute, au vu de sa gestuelle en se déplaçant vers la rame de métro arrivant, et compte-tenu de mon état déjà quelque peu fragilisé du jour, je me réserve pour le train suivant, acceptant ma condition sans en tirer la moindre fierté, espérant que le comportement de l’énergumène en question n’importunera personne une fois à bord.
Dans la rame suivante, se trouvent deux sans-logis dont un, franchement « clochardisé », le torse à moitié nu sous sa veste, ainsi qu’une belle crevasse dans la jambe droite.
Curieux retour en région parisienne en cette soirée trouble, ponctuée par ailleurs de jeunes gens distingués (une référence toute particulière à cet homme flanqué d’une écharpe), d’une annonce active à la sono nous prévenant de la présence de pickpockets et d’une étiquette aperçue en sortie de métro à Montparnasse, porteuse d’inscriptions en couleur, « Amour » et « Bisous », de quoi contraster fortement avec les misérables personnages des scènes précédentes ; Paris…
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Incivilités – malveillance – sûreté
Changements de plans
Gares de Golfe Juan Vallauris, Cannes, Marseille Saint-Charles et Paris gare de Lyon, vendredi 16 septembre 2022
Changement de plan oblige presqu’au pied levé, en début d’après-midi, me voilà revêtu de mon sac de randonnée et de mon appareil photo en bandoulière, paré à remonter en région parisienne. J’entre en gare de Golfe Juan Vallauris, où je remarque, même ici, la piètre étendue des plages d’ouverture de la bâtisse (mardi et vendredi en journée uniquement), ce qui en fait un lieu d’accès et de service commercial particulièrement limités dans une semaine complète. Ceux qui n’empruntent pas le train ou les « abonnés radar » aux déplacements automatiques n’en prennent pas ou plus la mesure, mais ne trouver aucun interlocuteur en cas de besoin ni ne pouvoir entrer s’abriter quand le temps fait des siennes permet d’apprécier la relative qualité de nos services publics actuels…
En attente sur le quai de la voie 2, je perçois soudain le tintement d’un gong d’annonce d’une circulation, provenant du quai d’en-face, côté bâtiment voyageurs, appui acoustique parfaitement identifiable et signe d’une installation liée à l’exploitation toujours présente en gare, ce qui n’est jamais pour me déplaire.
A Cannes, où j’erre pour correspondance, quelque peu embrouillé par mon départ anticipé sur mes prévisions, je regarde s’animer la gare et les gens. Mes yeux voient passer notamment des silhouettes affriolantes aux tenues légères, je croise même un regard appuyé d’une jeune femme en attente alors que je me dirige, perturbé, vers un automate d’où je ne tarde pas à être renvoyé en raison de l’évacuation de la gare pour « objet délaissé ». Dehors, j’attends comme tant d’autres que la procédure en cours d’application s’achève, espérant un retard minoré du TER pour Marseille que je guette.
Finalement confortablement installé dans un compartiment à bord du Corail attendu pour Saint-Charles, je fais plus tard au cours du voyage l’objet d’un contrôle curieux mais correct par un agent sans uniforme immédiatement reconnaissable ni casquette, bien pourvu de l’équipement et des agrès requis pour procéder, et accompagné d’un homme en civil et de plus forte corpulence, comme pour l’épauler. La dame assise en-face de moi se fera une réflexion similaire à la mienne après que j’ai interrogé l’agent en question quant à sa tenue.
S’il m’arrive de songer aux éléments permettant de déceler chez les gens qui m’entourent ou que je croise une certaine disponibilité d’être, dans l’attitude, et la manière de la capter par un simple regard (les rencontres en général occupant toujours une part grave et sérieuse dans mes pensées), la mienne semble servir davantage à attirer mon prochain dans le besoin, comme ce jour où pas moins de trois fois sur tout le parcours (dont deux rien qu’en gare de Marseille St-Charles, et notamment en anglais), on viendra vers moi me demander de l’aide et des renseignements, comme pour aiguiller.
Vu l’affluence, rien n’est encore gagné pour moi. Après une brève négociation au filtrage avec le chef de bord d’un Ouigo blindé de fin d’après-midi, je suis autorisé à monter (sans « arrangement » douteux aucun, je précise), me positionnant en plate-forme basse d’une voiture préalablement indiquée par le contrôleur en chef.
Je partirai alors pour 03h00 de trajet, tantôt debout, tantôt assis sur une marche, mais sans jamais avoir à me plaindre vu l’improvisation de la situation dans mon cas ce jour. Et plus loin lors d’une desserte, un homme montera à mon niveau, stationnant tout comme moi sur la même plate-forme, et téléphonera avant de se rendre compte, train déjà relancé et direct pour Paris, qu’il n’a pas pris le bon dans la bonne direction ; changement de plan pour lui aussi. J’apprendrai plus tard encore qu’il est cheminot à l’Infra, qu’il a de la famille en région parisienne, soit une solution pour la nuit avant d’envisager le retour en sens inverse dès le lendemain, et ce temps en commun sera mis à profit pour échanger librement jusqu’au terminus parisien, où ma progression en solo au niveau inférieur de la gare à cette heure de soirée me donnera à voir nombre de gens errant, une femme qui braille et des individus postés en attente…de quoi accueillir de la plus belle des façons le touriste lambda dans la capitale.
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Errances oisives
Gare de Cannes, vendredi 09 septembre 2022
Arrivé par mon TGV de 18h07 pour correspondance avec un TER suiveur, je remonte le quai central en tête côté Vintimille, quelque peu errant. Je m’aperçois que le train attendu a disparu de l’affichage. Il commence à y avoir du monde. Je remarque quelques personnes au teint hâlé, des tenues légères, l’air de la Côte d’Azur se manifestant délicieusement forcément davantage ici. Au loin, sur le quai d’en-face, je remarque un petit groupe errant de jeunes gens, filles et garçons de 14/16 ans tout au plus, aux physionomies pas toutes avantageuses, chahutant et gesticulant en se courant après, et qui se photographient avec leur téléphone. Ils semblent totalement oisifs. En en voyant fumer, je m’obscurcis intérieurement, puis je me recentre sur le TER que j’attends tout en guettant d’un œil exercé les déplacements des uns et des autres autour de moi. Mon train surgit finalement, mais en unité simple. Je passe ici l’agacement de la situation, qui rappelle par exemple sans difficulté les trains de la relation Paris – Chartres, et monte tant bien que mal à bord, l’affluence voyageurs m’imposant de voyager dans des conditions dégradées ; je ne vais pas me plaindre, je n’ai qu’une station. Ce qui irrite principalement est le manque de communication, comme souvent dans ce genre de situation (manquements en termes d’annonce des trains, de modifications de composition (train court, train long) de façon à s’adapter et mieux se prépositionner à quai, etc.).
L’acharné projetterait déjà d’écrire aux représentants locaux de la SNCF, sinon à l’autorité organisatrice régionale ; pour ma part, je me contenterai de gagner Golfe Juan et tâcherai de passer à autre chose cette fois, espérant au passage oublier la faune oisive des abords de certaines gares, ici comme ailleurs.
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Règles
TGV 6803 de 14h04 au départ de Lyon Part Dieu, à destination de Nice, vendredi 09 septembre 2022
A peine installé à l’étage que déjà des changements de places voisins s’opèrent autour de moi, et des sonneries intempestives et autres notifications de téléphones mobiles se font entendre. Le « barista » se présente à la sono en nous invitant à nous présenter au bar parce qu’il n’y a pas d’attente. C’en est quelque peu insistant, et le client susceptible n’aurait pas tort de se sentir un brin forcé.
Aux Arcs Draguignan, alors que le train assure sa desserte, la contrôleuse en chef passe haut et fort une annonce ne laissant aucune place au doute, rappelant bien fermement la tarification TGV (et non TER) de ce train, revenant à considérer tout voyageur non muni d’un billet TGV comme contrevenant, de fait soumis à régularisation à bord. Le message est clair et sans ambiguïté pour quiconque comprend le français. J’apprécie particulièrement ce type de recadrage, certains ne comprenant que le rappel des règles. Je note néanmoins l’apparente nécessité de devoir inlassablement les rappeler, dans un pays où défier l’autorité et les règles en général semble être devenu normal depuis déjà trop longtemps.
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L’effrontée
Gare de Lyon Part Dieu, vendredi 09 septembre 2022
Partir à 09h25 d’Oyonnax en direction de Golfe Juan Vallauris (Alpes Maritimes) en passant par Bourg en Bresse puis Lyon Part Dieu sans rien réserver est un risque à prendre qui ce jour ne se fait effectivement pas sans contrainte. Si la première partie du parcours en car d’Oyonnax à Bourg en Bresse puis en train via un temps de correspondance acceptable jusqu’à la Part Dieu se fait sans difficulté (et avec de vrais billets cartonnés en main), la deuxième partie se complique avec l’intégralité des TGV restants de la journée annoncés complets. Me refusant à emprunter un TER pour Marseille (temps de trajet…), j’use alors de tentatives sans succès en bornes libre service et je tente une vaine approche dans la négociation auprès d’un filtrage avant de m’orienter vers les « guichets », où je traite avec une préposée très accueillante qui finit par me trouver une solution en première classe, me précisant que des places se libèrent parfois quelques minutes à peine avant l’heure théorique du départ des trains à réservation obligatoire.
Aux environs de 13h00, muni de mon billet (cartonné) et d’un thé glacé acheté dans un banal commerce de la gare, je quitte la dense foule du bas et me glisse jusqu’au quai de la voie I d’où part dans quelques minutes un TER à destination d’Avignon. Ce n’est pas mon train mais le temps d’attente dont je dispose m’impose une scène d’outrage à agents. En milieu de quai, une jeune femme gesticule sur elle-même, téléphone à l’oreille. Il semblerait qu’elle rencontre des difficultés d’accès au TER en question (billet ?). Je l’entends méchamment relater la situation à son interlocuteur téléphonique, les choses étant sérieusement en train de se tendre face aux agents de la SUGE présents là, et gardant encore leur calme malgré la montée en puissance des provocations de la fille revêche. L’observant du coin de l’oeil, je l’entends tout à coup les invectiver sans retenue aucune, usant d’un vocabulaire des plus distingués (« la ferroviaire qui (…) », « fils de pute », « j’m’en bats les couilles »). Vivement approchée par un agent, l’effrontée se débat et rugit comme une furie. Elle est alors interpellée énergiquement par les agents restés bien patients jusque-là, et mise à l’écart, hors d’état de nuire, malgré les hurlements insupportables de cette boule de nerfs que d’autres ne se gêneraient pas à qualifier d’une autre façon que moi ici.
Intérieurement, je savourerai ce moment où les règles s’imposent à ceux qui n’ont de cesse que de chercher à les enfreindre, d’autant plus par provocation.
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Apparences (deuxième partie)
Au fil de la ligne de Dijon Ville à Vallorbe (section Dole – La Joux), des anciennes lignes de Salins les Bains à Levier via Andelot en Montagne (sections Andelot – Arc sous Montenot et Salins – Andelot) et de L’Hôpital du Grosbois à Lods, et de la ligne d’Andelot à La Cluse (section Andelot – Oyonnax), septembre 2022
Mercredi 7 septembre, la rentrée scolaire a eu lieu et je ne vais pas tarder à le sentir. Me voilà reparti depuis la gare d’Andelot aux quais et voies partiellement envahis par les mauvaises herbes en direction de Saint-Claude, sur la ligne des Hirondelles, ligne dont l’appréciation de la beauté semble moins mesurable depuis le train qu’en-dehors, les ouvrages d’art qui s’inscrivent dans la roche et dont les courbes évoquent la silhouette des hirondelles n’ayant d’intérêt esthétique qu’à distance ; toujours se méfier de certains « guides » touristiques…
A bord du 12h09, qu’accompagne une contrôleuse des plus avenantes, je vois monter à Champagnole des scolaires. Parmi eux, une fille au téléphone, qui relate une brouille (entre élèves ?) ayant mal tourné, et un garçon, qui s’avachit sur un siège. Il sont cependant tous plutôt discrets dans l’ensemble.
A Morez, un autre mouvement de scolaires s’organise comme tout bon mercredi midi. Parmi eux, un garçon, muni d’oreillettes, semble écouter Jul ou un « artiste » du même genre et dont j’imagine assez négativement des paroles de haut vol et un message d’une grande sensibilité, même s’il existe (toujours) pire.
Après Morez et le « changement de bout » requis ainsi qu’une série de tunnels et un nombre certain de kilomètres, j’ai à peine le temps de distinguer l’édicule d’un ancien arrêt (La Rixouse), à gauche dans le sens de la marche. Ces irruptions dans mon champ visuel ne me laissent jamais indifférent, tant j’ai de la peine à voir s’effriter ce que nos aïeux ont bâti.
Saint-Claude terminus de ce train, section de St-Claude à Oyonnax neutralisée oblige. A l’aise avec mes petites affaires, sans savoir où dormir le soir même pour autant, comme à mon habitude dans ce genre de situation, j’interpelle un agent SNCF à l’intuition, à commencer par la contrôleuse, et c’est avec l’aiguilleur en service que bascule la suite de l’échange, au sein de son poste donnant sur le quai. Purement électromécanique à verrous commutateurs, le poste est plus petit que celui d’Andelot mais il a été rafraîchi, et est muni d’un coin cuisine, qui plus est aménagé (où je vais même me retrouver à manger le temps de quelques minutes) ; d’expérience et d’observation, les postes de gares desservies et dotées d’un guichet ont tendance à être plus entretenus que les autres.
Ma progression dans Saint-Claude ne tarde pas à se faire sous une pluie battante, et c’est une ville d’aspect austère qui s’offre à moi. Je croise une nouvelle fois et à distance de largeur de chaussée un homme aperçu en amont sur le parcours en train, monté après moi avec une femme. Plus âgé que moi, porteur de lunettes partiellement opaques, l’individu me fixe de son regard douteux avec une forme de défiance malsaine (c’est du moins l’interprétation que j’en fais à trois reprises depuis le train). Son apparence et l’instant, aussi inconfortables soient-ils, me poussent à maintenir le cap et la tête haute, le regard balai sans jamais m’incliner. Mais je sens la présence insistante de son regard dans mon dos. Une part sombre en moi m’envahit alors, mais je poursuis mon itinérance dans cette ville grise en tâchant de ne pas trop me miner.
L’étape de l’Abribus pour me protéger de l’averse, le passage à l’office de tourisme comme des deux hôtels du secteur à qui je me présente m’offrant une perspective heureuse limitée dans cette commune enclavée, je me résous à pousser ma route jusqu’à Oyonnax, ayant naïvement entendu qu’il y a tout, là-bas.
C’est un autocar régional de fin de journée de la ligne « X37 » que j’emprunte pour 5,40 € en direction d’Oyonnax, dont on m’a déjà annoncé la couleur : s’il y a tout sur place, Oyonnax n’en est pas moins une ville connue pour son industrie du plastique ; soit. A bord, et sur quelques centaines de mètres depuis le départ face à la gare de Saint-Claude, mon regard se tourne vers les hauteurs de la plateforme ferroviaire que j’essaie tant bien que mal de suivre à distance depuis la ville basse. Je note la présence d’une grue supposément débroussailleuse, en aval de la gare de St-Claude, ce qui me laisse imaginer toutes formes d’hypothèses, sans pour autant rêver d’y voir revenir le moindre train.
L’arrivée à Oyonnax me donne à voir une place de gare quelque peu agitée, qu’occupent un nombre non négligeable de jeunes gens, scolaires en partie, semblant traîner sans but particulier aux abords, que les allées et venues des bus locaux ponctuent dans une ambiance sans chaleur ni saveur. Géographiquement cependant, l’environnement est bien plus ouvert que sur les hauteurs de Saint-Claude.
Même approche, partant à la pêche aux infos, je m’oriente vers l’unique guichet SNCF sur le point de fermer (fin de service), me renvoyant sur le quai désert en voie terminus pour retrouver l’aiguilleur en service dans son poste ; j’ai mes facilités…
Je découvre un agent tout aussi sympathique que son collègue de Saint-Claude, passant le temps avec son chien s’agitant autour de moi ; nous sommes loin ici des zones dites denses en trafic. Le poste, divisé en deux (leviers et verrous commutateurs d’un côté, bureau de l’autre), est dans l’ombre, de taille limitée, et tout en longueur. L’échange se porte sans tarder sur les possibilités d’hébergement dans le secteur, mais très vite il m’invite à éviter les quartiers à droite en quittant la gare, évoquant par ailleurs la petite faune traînant en gare à certains créneaux. De toute évidence, j’ai bien choisi ma destination.
Les solutions d’hébergement immédiates et à proximité (hôtels) me font toutes défaut là aussi (tout est complet), l’heure tourne et je commence à m’interroger sérieusement quant à la perspective s’offrant à moi de cette drôle de soirée. Au vu de la relative urgence de la situation, même s’il y a toujours pire, je me retrouve du côté ouest de la ville, soit plus ou moins dans les quartiers à droite en sortant de la gare, me présentant finalement à un hôtel sans étoile au pied d’une église, et dont le prix, certes attractif, n’est qu’à l’image du piètre confort et de la propreté limitée des chambres (chaise et bureau salis par le temps et l’usage, volets à l’ouverture partielle en raison d’un hublot en plastique situé à trop courte distance, joints de salle de bain vieillis, éclairage blafard, petit-déjeuner basique, etc.). Le temps d’une petite virée pour réserver la nuitée suivante dans le premier établissement hôtelier suggéré initialement en quittant la gare, et me voilà de retour devant l’hôtel, sous une pluie battante, d’où je perçois des coups d’avertisseur en provenance d’un véhicule roulant à proximité immédiate. Le chauffeur me regarde et m’interpelle vivement, presqu’agressivement. Il rencontre manifestement une difficulté pour appeler sur son smartphone et demande de l’aide sans amabilité aucune, il maîtrise mal le français, et n’ayant pas moi-même de téléphone mobile, je ne peux l’aider sur le moment, d’autant plus sous averse. Voyant l’impasse se rétrécir sur lui, le type s’en retourne à sa voiture sans dire mot et s’en va, pestant peut-être intérieurement ; agréable…et de quoi confirmer l’ambiance de cette ville trouble aussi peu accueillante que Saint-Claude. J’ai décidément vraiment bien choisi ma destination, cette année.
Jeudi 8 septembre, les choses semblent mieux se présenter, mais méfions-nous néanmoins des apparences. Devant la gare, la circulation des bus et cars semble dense, même en ce milieu de matinée, quand j’identifie le mien pour remonter à Molinges village, d’où je compte bien engager mon excursion ferroviaire à pied convoitée et redescendre la ligne jusqu’à Oyonnax. Beaucoup d’usagers descendent et je suis le seul à monter. Le chauffeur est agacé, et je n’arrange rien à son état en lui faisant part de mon intention de régler en carte bancaire, n’ayant pas suffisamment de monnaie sur moi. Le règlement semble impossible (pas de CB), il m’invite cependant à m’installer comme si de rien n’était. Le temps du trajet, seul voyageur à bord, je me retrouve fraudeur malgré moi, entraîné sur des routes abordées bien nerveusement par un chauffeur manifestement excédé. Il faut dans ces circonstances avoir le coeur bien accroché, ne pas avoir trop mangé et garder la tête froide.
Arrivé à Molinges, c’est par le passage à niveau n°67 que l’accès à la voie peut s’envisager facilement. Je remonte d’à peine quelques centaines de mètres la ligne vers le nord pour gagner le pont sur la Bienne. D’une longueur d’une cinquantaine de mètres, l’ouvrage, à ossature métallique, dévoile un léger dégradé de couleurs en raison de la rouille qui gagne l’ensemble de la structure. Encore humide du matin, le pont semble briller devant mon objectif, et des éléments en hauteur de la cage se reflètent joliment dans les flaques du tablier. Je le parcours dans les deux sens et découvre à proximité immédiate des joints de dilatation de voie parfaitement reconnaissables, une nacelle fixée à un rail parallèle au tablier de l’ouvrage, un cadenas demi-lune SNCF, et de part et d’autre des tableaux indicateurs de vitesse pentagonaux, destinés à certains convois et sur de courtes sections de ligne à parcourir à vitesse limitée. Un brouillard levant coiffe fraîchement l’endroit dans une esthétique remarquable.
En aval du P.N. 67 sur la gauche dans le sens de la ligne se dresse le bâtiment voyageurs, fermé, de l’ancienne gare de Molinges : accès condamnés côté voie comme côté cour (rue), tableau d’affichage à vitre brisée, horloge hors service, marquise jaunie par le temps et gagnée par la mousse, végétation fournie en bordure de quai, le constat est accablant.
En amont direct du passage à niveau n°68 à gauche dans le sens de la ligne, une série de poutres imposantes en béton soutiennent dans sa longueur le muret de clôture d’une habitation voisine en prenant ancrage dans le creux du remblai de la voie ; l’originalité de la chose mérite d’être soulignée. Au loin, déjà, les couleurs de l’automne apparaissent dans les arbres, qu’un nuage de brouillard se dissipant très progressivement coiffe de son voile brumeux. Mais les traverses sont particulièrement glissantes.
Ici et là, sur l’intégralité de mon parcours jusqu’à Oyonnax, je remarque des installations propres à l’exploitation bien qu’hors service en raison de la neutralisation de la section, et en quelques endroits vandalisées (boîtes (de raccordement) électriques, vestiges de supports électriques et/ou télécoms, abris de relais et autres matériels de P.N. ouverts et vidés de leur contenu, vestiges de poulies de transmissions funiculaires, caniveaux évidés), mais aussi de nombreux ouvrages à flanc de roche, notamment hydrauliques (nombreuses descentes d’eau), aqueducs voûtés, certains radiers en maçonnerie et autres perrés, emplacements de garage d’architecture inhabituelle ; l’intérêt d’une ligne de montagne. Je note par ailleurs l’alternance fréquente de traverses bois, métal et béton dont bi-blocs, pour le moins atypique pour quelqu’un comme moi, peu habitué à une telle disparité.
Je passe Vaux lès St-Claude dans la lumière de midi, où l’ancienne maison de passage à niveau et halte semble habitée (P.N. 72), puis le passage à niveau n°73a (pas de 73b ?), le 74 aux barrières de rouille chaînées et difficilement accessible, mais à proximité duquel j’aperçois un repère de nivellement général dans la roche. Vient le 75, muni lui aussi de portails de rouille chaînés, ici doublement cadenassés (cadenas du commerce et demi-lune SNCF), et porteur d’un arrêté préfectoral/DDE datant du 05 août 1969 précisant son interdiction permanente : « ouverture des barrières (…) accordée sur demande présentée 24h00 à l’avance à monsieur le chef de district en gare de St-Claude ». La communication est claire, les précisions concises, incluant le titre de l’interlocuteur concerné et le respect qu’il induit, ainsi qu’un contact téléphonique à 6 chiffres, numérotation courte qui ne surprendra aucun cheminot (encore aujourd’hui) mais pourrait interroger le baladeur lambda n’ayant pourtant rien à faire là.
Bientôt la gare de Jeurre Vaux apparaît, au loin après la courbe, zone à explorer plus longuement, pour ses vestiges alentours et son ancien accès depuis l’actuelle départementale 436. Les installations annexes ont perdu de leur superbe : la voie d’évitement et les voies embranchées ont disparu.
En amont du tunnel des Brasselettes, une clôture en bordure de voie et porteuse d’un affichage protégé sous un plastique jauni, liste les articles d’un arrêté préfectoral portant suppression de plusieurs passages à niveau dont le 76. Cette section de ligne me donne décidément à voir des curiosités auxquelles mes explorations antérieures sur le réseau ne m’ont pas habitué jusque-là.
La lumière du soleil est directe aux abords du tunnel des Brasselettes, et autour du kilomètre 93, je continue de m’attarder quelque peu sur les ouvrages me semblant si spécifiques à une ligne de montagne (ancrages, niches particulières à flanc de rocher). Par endroits, il m’arrive de descendre et de me pencher un peu, reflex en main non sanglé, mais très vite la raison me fait remonter, regagnant le remblai, plus sûr.
Vient l’ancienne gare de Dortan Lavancia, abordée en courbe, au bout de laquelle au niveau du P.N. je jette un œil sur le « Carnet de contrôle des tournées de gardes » conservé à l’intérieur de la boîte métallique prévue à cet effet, et dont les noms d’agents sont listés jusqu’à une dernière tournée en date du 4 septembre 2017 à 11h00 ; témoignage discret supplémentaire d’une activité humaine tombée dans un oubli relatif pour cause de neutralisation. Mais j’esquisse un nouveau sourire en découvrant au même endroit une carte du nom de Railwalker, passé avant moi…
Aux P.N. 82 et 83, un affichage similaire à celui du 75 indique dans des termes proches l’interdiction du passage. Il précise cependant un délai majoré (48h00 à l’avance), et l’unité voie de Bourg en Bresse à contacter pour demander l’ouverture des barrières, numérotation à 10 chiffres à l’appui. Le sens du message reste malgré tout bien le même.
Plus loin, aux abords d’un ouvrage voûté sous voie des plus champêtres, trône ce qui ressemble à un mirador de chasse, au droit du remblai.
En aval, mais avant le kilomètre 100 et dans un passage en tranchée, je note le remarquable mur de soutènement maçonné d’au moins une dizaine de mètres de haut qui me surplombe.
Au kilomètre 99,9 exactement, je me permets une photo en plein milieu de la plateforme en direction du sud de la ligne : la voie s’inscrit dans une courbe progressive avant le tunnel d’Arbent 1, la lumière est belle, la rouille des rails se mélange artistiquement au gris du ballast et des traverses bois, remontant le nuancier vers un joli vert dans la végétation qui nous borde, que le bleu du ciel ponctué de quelques éparses nuages vient éclaircir davantage. C’est un vrai tableau en perspective, où je ne croise ni personne ni bête (hormis une tique sur mon ventre qui m’aura fait une petite frousse plus tôt lors d’un arrêt), où le calme des lieux n’est perturbé que par le lointain roulis routier de la départementale 131 à distance. Les jambes engourdies de fin de parcours, la chaleur emmagasinée tout au long de la marche, souvent en plein soleil, le bruit des pierres concassées sous mes toujours aussi dures mais pas moins excellentes chaussures de rando. d’une pleine compatibilité avec le ballast, me rappellent combien depuis 2009 ces escapades m’apportent, malgré les constats toujours aussi attristants de l’effritement dont je suis témoin, exploration après exploration. La rouille des garde-corps de l’ouvrage immédiatement en amont du tunnel d’Arbent 1 (130 mètres) ressort magnifiquement, et, plus loin, en aval du tunnel, alors que je viens de passer l’épreuve partiellement redoutée de la traversée de l’ouvrage couvert le plus long de la section, un restant de ce qui pourrait s’apparenter à une pièce isolée de garde-corps ou main courante au droit du pont rail que je franchis, semble imiter par sa déformation et ses courbes la silhouette d’un danseur…à moins qu’il ne s’agisse d’une danseuse ; sujet ouvert, mais susceptible de prendre une tournure bien plus trouble chez moi. Je fais le tour de cette oeuvre inattendue qui m’intrigue, en la fixant quelques instants, et au moment de la rédaction de ce passage, soit un an plus tard compte tenu de mon retard cette année, la question reste ouverte de la même manière. Car mes cheminements dans les voies et autres contrées reculées de France ne sont jamais tout à fait sans lien avec les rencontres humaines, et leur abandon. L’approche est des plus paradoxales, tant je suis ici seul, mais cet état dans un tel environnement y semble étrangement salvateur, malgré une forme de mélancolie.
L’ancien arrêt d’Arbent se fichera bien de mon cheminement psychologique ponctuellement déprimé et de mes états d’âme de bas randonneur à la philosophie discutable et me regardera passer devant lui sans bruit, me laissant le loisir de le photographier alors même que la ville sans intérêt d’Oyonnax se fera déjà sentir ; demain, je quitterai cet endroit, et je ne le regretterai pas.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Apparences (première partie)
Au fil de la ligne de Dijon Ville à Vallorbe (section Dole – La Joux), des anciennes lignes de Salins les Bains à Levier via Andelot en Montagne (sections Andelot – Arc sous Montenot et Salins – Andelot) et de L’Hôpital du Grosbois à Lods, et de la ligne d’Andelot à La Cluse (section Andelot – Oyonnax), septembre 2022
Chaussures de rando. aux pieds, sacoche d’appareil photo. en bandoulière, sac de randonnée sur le dos et cartes des réseaux accessibles, me revoilà lancé sur les rails à l’occasion de mes congés annuels, cette fois à l’est de la France, en direction du Jura et du Doubs. Parti tôt de chez moi un jour de semaine de début septembre, ce n’est qu’à Paris gare de Lyon que je réserve ma place sur la première borne libre service venue, quelques minutes à peine avant l’horaire du TGV repéré en amont. Un « e-billet » aux allures d’un ticket de caisse d’une banalité renversante m’est édité par la machine ; la billettique SNCF n’est plus à une surprise près.
Plus loin, après un temps de correspondance qualifiable d’acceptable en gare de Dole au cours duquel je finis un thé acheté plus tôt dans un gobelet en carton, la manœuvre du train de correspondance anime la calme gare en ce milieu de matinée. 10h14 et nous voilà repartis : sans tarder après le démarrage du train, à droite dans le sens de la marche, je ne manque pas d’identifier la naissance de la ligne fermée de Dole à Poligny, dont la voie est partiellement déposée plus loin en aval, hors réseau ferré national.
A mon arrivée en gare d’Andelot, je suis un des rares à descendre, seule une jeune femme me précède. Je croise la contrôleuse dotée d’un air jovial et traverse le passage aménagé pour gagner le bâtiment voyageurs d’où, sous la marquise et devant l’entrée du poste d’aiguillage intérieur, se tiennent debout trois personnes : l’agent circulation titulaire, un agent en double (formation) et, comme prévu, la tante à qui je rends visite. Au loin, la jeune femme aperçue plus tôt descend déjà la rue de la gare déserte. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y a pas foule ici, et vu le cadre et l’environnement ferroviaire, j’aime déjà l’endroit. Si je suis intrigué avec intérêt par le poste d’aiguillage à l’ancienne et l’entrée salle d’attente baignant dans son jus, je ne m’attarde pas mais prends déjà rendez-vous avec l’aiguilleur en poste pour visite ultérieure.
Dès le lendemain, et grâce à ma guide personnelle, je pars cheminer en suivant le tracé de l’ancienne ligne à voie unique à écartement métrique reliant autrefois Salins et Levier, historiquement exploitée par la compagnie des Chemins de Fer d’intérêt local d’Andelot à Levier. La section de Lemuy à Arc sous Montenot, que je parcours, fut ouverte en 1901. La plateforme est des plus accessibles, le chemin file à travers champs, franchit le Lizon Supérieur par un petit ouvrage métallique, passe sous de hautes lignes électriques aériennes, franchit la frontière invisible du Jura avec le Doubs et aborde une rampe le long du bois des Planches jusqu’à un plateau où se dresse paisiblement la gare d’Arc sous Montenot reconvertie en logement, avec sa petite halle à marchandises accolée et son puits légèrement à l’écart. L’endroit est délicieusement pittoresque.
S’en suivent en glissement sur les jours suivants la visite des abords de la gare plus imposante de Bolandoz, reconvertie elle aussi en logement, sur ce qui correspond à l’ancienne ligne à voie unique à écartement métrique reliant autrefois Besançon et Pontarlier, historiquement exploitée par le Chemin de Fer du Doubs, dont le premier segment ouvrit en 1910. Puis la gare de Salins les Bains du « grand réseau » du Paris Lyon Méditerranée et son bâtiment voyageurs aux deux ailes asymétriques, reconverti en crèche halte garderie, à l’extrémité de ce qui correspond à l’ancienne ligne de Mouchard à Salins ; tout juste à côté, l’ancienne gare homonyme du réseau secondaire, petite bâtisse d’un étage en pierres est manifestement fermée, bien que non condamnée. Ayant rarement été le témoin direct d’une telle proximité, je trouve le contraste entre les deux réseaux historiques frappant.
A Mouchard, si les emprises côté cour sont en travaux et parfaitement clôturées, les casiers du point colis du géant Amazon sont bien en place, faisant négligemment face à la gare ; ou comment deux mondes s’entrechoquent frontalement. Détournant le regard de cette grosse boîte métallique de la marque américaine au (faux) sourire, pointer mon objectif sur le poste d’aiguillage distant de quelques dizaines de mètres de là, de l’autre côté des voies, me semble salvateur. Cabine de béton surélevée vieillissante munie d’une large baie vitrée, le poste 1, de type mécanique unifié 1945 mis en service en 1956, est télécommandé depuis 1997 par le poste du bâtiment voyageurs par motorisation Faiveley (même principe par exemple qu’à Cholet, Maine et Loire). Au poste BV, je rencontre, installé derrière sa table de commande à distance, l’agent circulation du matin accompagné de son collègue du Transport affecté à la vente. Si l’aiguilleur aux petits yeux et à l’accent franc-comtois m’accueille ouvertement, son collègue préposé aux billets adopte une attitude plus nonchalante et manifestement moins encline à l’échange, sans être hostile pour autant. N’étant qu’une télécommande, le poste de technologie tout électrique se visite rapidement. J’interroge l’agent en responsabilité quant à l’existence éventuelle d’un poste A, de type Vignier, mais son évocation ne lui dit rien. Mes notes prises en amont le mentionnent pourtant…peut-être neutralisé depuis. Mes recherches postérieures confirmeront son existence passée, dotées d’installations mises en service en 1901 mais déposées en avril 2021.
Plus tard, la virée m’amène du côté de ce qui correspond à l’ancienne section de ligne secondaire de Salins à Andelot ouverte en 1928, du côté de la gare de Salins Bracon, reconvertie en logement manifestement très bien entretenu, et dont le maintien de la plaque de la gare en pignon ne trompe personne sur l’origine du lieu.
Par la suite, Ornans, au « Doubs pays de Courbet », où sans aller jusqu’à chercher une éventuelle ancienne gare, un ouvrage d’art franchissant la Loue à l’est du centre-ville attire finalement mon regard et attise ma curiosité. Accéder à l’ouvrage par le dessus permet d’atteindre un chemin large sur quelques centaines de mètres de long vers l’est, jusqu’à l’actuel centre aquatique. Les recherches postérieures confirmeront l’intuition : l’ouvrage correspond bien à un ancien pont rail, sur le tracé de l’ancienne ligne de L’Hôpital du Grosbois à Lods (reconvertie en voie verte), court embranchement ouvert en 1885 qui desservait la vallée de la Loue.
Puis c’est au tour de la gare de L’Hôpital du Grosbois, sur la ligne de Besançon Viotte au Locle Col des Roches, sous une lumière de fin de journée des plus belles. Placardée en façade côté quais, une indication renseigne l’usager lambda sur la réception des trains en l’absence de personnel SNCF. Il n’y a aucun agent au moment de ma venue, et le prochain train à venir est, comme indiqué, attendu quai A.
En pleine forêt domaniale de la Joux, à l’est d’Andelot, au milieu de nulle part, au seul voisinage d’un pavillon habité et d’une ancienne sècherie, la gare fermée du même nom ne voit plus aucun train s’y arrêter. Si les constituants des voies du secteur ont été changés (la plateforme sent le neuf), le vieux bâtiment voyageurs de la Joux accuse sérieusement le coup : murs de façade décolorés et encrassés, traces d’humidité, portes et volets dévernis, graffitis (dont certains recouverts de peinture de masquage) et carreaux cassés remplacés par un panneau de bois de bricolage. Seule une pièce côté quai précédée d’une petite boîte à clés à combinaison semble entretenue un minimum. Sa porte d’accès n’est manifestement pas d’origine, et le vitrage, n’ayant pas été occulté, laisse tout loisir pour y regarder de plus près. A l’intérieur, une table accompagnée de bancs d’école en bois et métal, prolongés dans le fond d’un lavabo suspendu, adossé à une faïence de couleur sombre, à-côté desquels un placard fixe (d’origine ?) illumine d’un vert vif la petite salle. Dans l’angle, un signal d’arrêt à main à damier rouge et blanc repose sur le sol. Sur le pan de droite, une fenêtre à carreaux d’origine et repeinte du même vert laisse passer la lumière côté nord, caressant les arêtes rectilignes de casiers métalliques d’un gris pâle digne d’un banal mobilier de bureau. Les casiers sont tous porteurs d’étiquettes au titres évocateurs pour le connaisseur ou le curieux averti : carnet de coupons, broche annulateur verrou, carnets divers, petit matériel, classeur S, carnet de visite, fiches prise de connaissance, répertoire des textes S, documents en attente d’application… L’ensemble est dominé par un petit râtelier porteur de clés d’exploitation et de pancartes d’interdiction, jouxtant une boîte à pharmacie, au-dessus d’une vieille platine téléphonique en service (voyant allumé) reposant sur un petit bureau en bois sali par le temps et l’usage aux côtés d’un téléphone filaire gris à touches. Dans l’angle inférieur droit, enfin, le pupitre de commande avec tableau de contrôle optique du poste aux tracés épurés, schématisant les voie directe et d’évitement ainsi que les directions (Dole et Vallorbe). Ici donc se trouve, à l’abri des regards, et sans que rien ne le laisse supposer de l’extérieur, le petit poste d’aiguillage électrique de la Joux, poste de type tout relais à transit souple normalement télécommandé depuis Dijon mais susceptible d’être repris ponctuellement en commande locale. En y songeant, j’oserais un parallèle avec la gare de Colombiers (Hérault), visitée en septembre 2015, au bâtiment voyageurs fermé et délaissé, mais dont une pièce donnant sur les voies abritait un petit poste électromécanique, tenu par deux agents au moment de ma venue. Les apparences sont parfois bien trompeuses. Le charme de la découverte de ces installations à l’existence insoupçonnable à première vue m’émoustille toujours, tel un enfant découvrant un trésor à l’occasion d’une sortie. Mais la gare de la Joux ne voit plus passer que des trains sans arrêt, les voies de service ont été déposées et sa halle à marchandises a disparu. Le temps d’une riche exploitation est ici aussi révolu.
A proximité, de l’autre côté de la voie, une zone fut occupée par un corps de forestiers canadiens au cours du premier quart du 20e siècle, pendant la grande guerre. Ces bûcherons, soldats alliés, vivaient au camp de Joux, dont il ne reste aujourd’hui que les vestiges d’un four à pain, et l’actuelle maison forestière du Chevreuil, qui était leur quartier général. Leur mission consistait à exploiter le bois pour la confection des planches des tranchées et le renouvellement des traverses de chemin de fer ; jusqu’à cinq scieries furent mises en œuvre. Une plaque commémorative détaille cette période en contrebas de la maison forestière.
N’étant pas au bout de mes surprises, dans la continuité de la route de la maison du Chevreuil en descendant vers le sud pour repasser sous la voie ferrée, à quelques centaines de mètres de là, un ancien centre de vacances SNCF, reconverti en scierie où vit un jeune couple, semble encore davantage isolé.
Sur ce qui correspond à l’ancienne ligne à voie unique à écartement métrique reliant autrefois Champagnole et Boujailles via Sirod, historiquement exploitée par la compagnie générale des Chemins de Fer Vicinaux, la gare de Bief du Fourg Communailles est abordée au pas, s’engageant dans une propriété privée…qui devient l’occasion d’échanger avec un propriétaire des plus avenants, sorti de chez lui légèrement intrigué de l’approche, me proposant finalement de photographier quelques pages d’un ouvrage en sa possession consacré aux petits trains du Jura.
S’en suivent de plus brèves visites des abords de gares de l’ancienne section de ligne secondaire de Salins à Andelot (Salins Champtave, Pont d’Héry et Moutaine Aresches), toutes reconverties en logements et entretenues à l’exception notable de Salins Champtave (en bordel). Par comparaison, les gares de Mesnay Arbois et Pont d’Héry (SNCF) d’une part, d’Arbois d’autre part, respectivement sur les lignes de Dijon à Vallorbe et de Mouchard à Bourg en Bresse, sont sans surprise toutes tristement délaissées et fermées, à l’exception d’Arbois qui, malgré un bâtiment voyageurs en décrépitude, reste un point d’arrêt commercial.
Retour à la gare d’Andelot et le calme parfaitement silencieux qui l’entoure, avec son entrée salle d’attente aux murs roses et bardés de lambris. Si l’endroit est propre, semblant entretenu sans qu’aucune dégradation manifeste n’y soit constatée, l’ancien guichet rattaché au poste d’aiguillage intérieur fait pâle figure, comme dans tant d’autres petites gares de province. Guichet condamné à côté duquel sont entreposés quelques malheureux prospectus vantant notamment la dématérialisation des billets, cet « aménagement » confirme la grande stratégie de casse du transport ferroviaire, où l’absence d’agent et le vide de ces espaces, salles des pas perdus et j’en passe, renforcent l’isolement déjà palpable de ces gares délaissées : correspondances impossibles, sportives ou trop longues, dessertes déroutantes, horaires douteux, fréquence des circulations inadaptée, guichets fermés… Comme le discours précède le fond ou le paraître masque l’être, ici et là les stigmates du désengagement de l’État, des collectivités territoriales, de la SNCF elle-même comme de ses agents, traduisant le grand détricotage des services de transport ferroviaire national normalement au service de la population, voilent tristement les compétences et l’énorme potentiel d’un réseau industriel malgré tout encore à peu près debout. Les apparences sont parfois bien troublantes.
En façade de la gare côté quais, une vieille affiche du temps de la numérotation à six chiffres, par son invitation au voyage dans le haut Jura, semble avoir figé le temps. La visite du poste attenant m’est permise grâce au seul agent présent, à l’accueil bienveillant. Le poste a son charme et son ergonomie. Le regroupement dans les mêmes murs de technologies électrique et électromécanique en font une curiosité intéressante pour le visiteur averti, d’autant plus complétées par des installations plus spécifiques au régime d’exploitation en voie unique, comme le dispositif d’arrêt automatique des trains et le cantonnement assisté par informatique. Comme pour la Joux, je comprends par la suite la similitude des installations : le pupitre de commande avec tableau de contrôle optique est normalement télécommandé depuis Dijon pour le parcours Dole – Vallorbe, le reste étant géré par l’électromécanique du poste, des verrous commutateurs manœuvrés sur place par l’agent du Transport présent quand la gare est ouverte au service de la circulation. Ce type de poste, quelque peu isolé bien qu’en gare, doit manifestement son salut grâce à l’inachèvement de la « modernisation » des installations de commande d’aiguillage et de signalisation de la région dijonnaise…en sursis ?
Sur le tableau de succession des trains de ce jour de semaine, seules six circulations sont prévues sur la liaison d’Andelot à Oyonnax, à raison de trois dans chaque sens ; le débit est particulièrement durement limité, et le manque d’activité, comme ailleurs, affecte le moral de certains agents, la faible fréquence des trains entraînant une faible fréquentation générale induisant elle-même une perte de motivation et de sens au travail. Habituelle logique et schéma répété ici et là, soigneusement entretenus par la fermeture d’unités des agents de l’Equipement dans les gares, Andelot en constitue un exemple criant de plus : en face, entourés d’herbes folles grandissantes, au voisinage direct de cinq voies de service dont deux sont interdites à la desserte, et à quelques dizaines de mètres d’une plaque tournante croupissant dans l’oubli, les locaux semblant abandonnés de la brigade du service électrique local confirment mes impressions. Les apparences ne sont pas toujours trompeuses. Mais soyons rassurés, la dématérialisation à marche forcée de la billettique tant vantée, la circulation exclusive de rames réversibles limitant les manœuvres et la centralisation d’éloignement des commandes d’aiguillage et de signalisation que l’on nous prépare (et qui « progresse » déjà bien vite) nous promettent un avenir radieux où il n’y aura bientôt ni agent ni personne nulle part. Esseulés et isolés dans nos campagnes et dans nos trains, nous serons enfin « libres », asservis par le « digital » et le virtuel, qu’accueillent déjà certains avec le plus grand des consentements…
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Anticipé érodé
Au fil des lignes de Barentin à Caudebec en Caux (section Le Paulu – Duclair), de Dieppe à Fécamp (section Cany – Fécamp), des Ifs à Etretat (section Les Loges – Etretat) et abords, juin 2022
Anticipée depuis plusieurs mois, cette nouvelle virée normande offre une occasion calculée d’approcher dans un premier temps la section neutralisée du Paulu à Duclair, encore partiellement exploitée sur 6 km par un vélorail familial dont l’origine du parcours se situe au Pont des Vieux, hameau de Saint-Paër, dans la vallée de l’Austreberthe, s’inscrivant elle-même dans les boucles de Seine au nord ouest de Rouen.
Si ce parcours n’est pas exceptionnel (tous les vélorails de France ne le sont pas), je note, aux abords du point kilométrique 169 de la ligne (grosso modo 2200 mètres depuis l’origine), la présence d’au moins une pédale électromécanique (probablement d’annonce) manifestement liée au passage à niveau le plus proche côté Barentin, anciennement équipé de barrières, expliquant donc la présence persistante de cordons inox sur les deux files de rail au niveau du P.N. (zone courte de circuit de voie). Aux abords du même kilomètre, je remarque, par la présence de restes d’installations d’aiguillage, l’origine d’un ancien embranchement vers l’actuelle usine Knauf, confirmé ensuite par l’exploitant et par les vues IGN sur lesquelles je me pencherai dès mon retour de séjour. Ce qui m’intrigue plus particulièrement dans le secteur est l’alignement d’arbres ou d’arbustes s’inscrivant en courbe depuis la voie côté Barentin, la retraversant pour gagner les champs côté Caudebec jusqu’à un point central sans raccordement avec la voie : autre ancien embranchement ? Ancienne voie de manoeuvre improbable (ne permettant aucun mouvement en rapport avec l’embranché correspondant à l’actuelle usine de produits d’emballage et de pièces techniques) ?
Quant au Vélorail de l’Austreberthe en lui-même, la petitesse de l’exploitation touristique, la tarification à la personne (et non par cyclo-draisine), l’accueil familial et les commentaires de l’exploitant sur l’ajout d’un frein à main bricolé aux lorries, sur la gestion de la structure associative, sur les problématiques relationnelles avec certains riverains et agriculteurs, sur les déconvenues de voisinage conséquentes à la conversion en voie verte de la section fermée en aval depuis Duclair, et sur la « menace » d’abandon du projet touristique sur la section amont confèrent à cette excursion en bordure de l’Austreberthe un certain charme…jusqu’à ce qu’une averse nous tombe dessus.
A Duclair, effectivement, et à l’instar d’autres sections de voies vertes en France, le promeneur lambda ne peut que remarquer la proximité de logements avec jardins, facilitant ainsi l’accès aux curieux, ennuyés de la vie et voleurs de bas étage. Je n’y avais jusque-là pas songé. De même, la qualité d’un enrobé de ce type constitue pour certains une invitation criante à circuler bruyamment aux commandes de leurs cyclomoteurs, pourtant interdits. Paris, banlieue, province, en fin de compte nous ne sommes tranquilles nulle part. Plus de bruit, plus de cris, mais aussi plus de larmes quand survient l’accident, et toujours en montrer (qu’on a le plus gros ou la plus grosse), parce que c’est bien ça le plus important, les plus petits n’ont qu’à bien se tenir.
Anticipée depuis plusieurs mois, cette nouvelle virée normande offre une autre occasion parfaitement calculée d’emprunter à vélo la section sud de la ligne de Dieppe à Fécamp. Prenant son origine à Cany, il faut, quand on vient de Veulettes sur Mer, suivre l’aménagement partiellement cyclable descendant vers Paluel (sans aborder sa centrale nucléaire), pour gagner Cany Barville, si possible sans crever un pneu (…), jusqu’à l’ancien bâtiment voyageurs de Cany, bien modeste mais dont il reste encore marquise et quai. Se lancer sur cette dernière section aménagée de la Véloroute du Lin (malheureusement encore plus dépourvue de points d’eau et de sanitaires qu’en partie nord) amène à découvrir de façon bien (trop) ombragée la vallée de la Durdent, l’ancienne gare de Grainville la Teinturière et ses quelques vestiges du temps de l’exploitation en pied de façade, Ourville et ses quelques pins majestueux donnant au lieu un air des plus estivaux, la très charmante maison de passage à niveau n°56 et sa façade d’ardoise, Valmont gare et dépendances, les étangs de pêche de Colleville, la gare de Colleville Sainte-Hélène et sa halle à marchandises de taille (charmante localité où envisager une pause pour pique-niquer ne me paraîtrait nullement déconnant), les piscicultures de Fécamp, la gare de Fécamp Saint-Ouen et l’entrée dans le centre (bien (trop) urbain) de Fécamp, jusqu’à la plage.
Davantage que sur la section nord de la ligne visitée en septembre 2021, des restants d’installations du temps de l’exploitation de la ligne égrènent çà et là le parcours : boîte électrique encore cadenassée par le service électrique SNCF « SES » (commune de Valmont), supports et isolateurs (gare de Valmont), pancarte de manoeuvre dans son jus et installations liées au P.N. n°79 à Fécamp (mât de signalisation porteur de deux boîtes de feux éclatées en rapport avec le P.N. à franchissement conditionnel, verrou commutateur de commande accompagné de sa cloche de contrôle de fermeture, guérite).
J’aurai donc achevé l’intégralité de la Véloroute du Lin, malheureusement dans un vent refroidissant par moments et sans voir aucun champ de lin en fleurs malgré l’heure et la période pourtant choisies avec soin cette fois. Mais si, d’une façon générale, la transformation de (sections de) lignes non circulées en voies vertes permet une (re)découverte douce de linéaires cantonnés auparavant à des emprises interdites au public, le changement d’affectation de ces plateformes marque chaque fois un nouvel arrêt de mort définitif du mode ferroviaire. Ou quand le délitement national d’un côté laisse place à l’initiative locale de l’autre : enrober les voies et rendre captifs le politique et le citoyen les ayant délaissées ? Dans un jargon politique interne propre aux hautes instances SNCF, une formule toute faite sied à merveille à cette vision d’avenir : « la rationalisation du patrimoine [en retranchant les parties inutiles] ». Le terme est appliqué aux voies de service, mais on en comprend l’orientation non limitative…
Anticipée depuis plusieurs mois, cette nouvelle virée normande offre une occasion d’un autre genre encore. La toute fin de séjour s’organise autour de la ligne d’Etretat depuis la bifurcation des Ifs, dont l’approche de la gare des Loges est annoncée depuis la route par la présence du bâtiment voyageurs de Froberville. Aux Loges, les Vélo-Rails© et Train Touristique d’Etretat exploitent une courte section d’environ 5 km et sont, pour ce type de prestation (descente de la pente en cyclo-draisine et montée de la rampe en train), globalement dans les prix pratiqués ici et là. L’état des lieux me paraît correct, les emprises plutôt entretenues et les installations de commande du passage à niveau de la gare maintenues en état de fonctionnement. Pour autant, l’enthousiasme ne se lit nullement sur le visage des membres de l’association et leur disponibilité semble particulièrement limitée. L’un d’eux, aux commandes de l’engin moteur au retour, semble même franchement blasé, pour ne pas dire indifférent aux touristes. Ce constat me laisse quelque peu songeur, mais la descente se fait très bien jusqu’au terminus actuel de l’exploitation touristique, en amont de plusieurs dizaines de mètres de l’ancien mais non moins entretenu et imposant bâtiment voyageurs de la gare d’Etretat, métamorphosé à l’intérieur en dortoirs et cantine ; centre de vacances pour enfants de cheminots SNCF, les lieux sont gérés par le « comité central du groupe public ferroviaire ». Après une brève négociation avec un gestionnaire du site rencontré là « par hasard », la visite de la gare est engagée, un mélange propre de moderne et d’ancien, que j’imagine quelque peu animé par une jeunesse regroupée cycliquement par tranches d’âges. A l’extérieur, les aiguilles de l’horloge sur le fronton sont figées ; une gare hors service devrait-elle d’ailleurs s’encombrer d’une telle maintenance ?
Au retour de la ville basse d’Etretat, bien peu de touristes montent dans le train remontant la rampe descendue en vélorail (nous ne sommes que deux à bord). Je m’étonne par ailleurs de la manœuvre, la remorque d’autorail (disposant pourtant d’une cabine de conduite côté Les Loges) est manoeuvrée en pousse par refoulement au moyen d’un engin moteur intercalé entre elle et les lorries attelés en queue : en tête du mouvement dont la vitesse est (très) limitée, la manoeuvre s’effectue au drapeau ! De ce point de vue, le trajet a un certain charme, qui plus est rétro. Mais à Etretat comme aux Loges, mon approche, pourtant d’une saine et simple curiosité concernant davantage les procédures que l’aspect purement technique, ne reçoit décidément pas l’écoute escomptée. Soyons bons touristes, errons dans les emprises à l’écart, où stationnent quelques carcasses de vieux matériels roulants ayant fait leur temps, et quittons les lieux.
C’est dans l’humidité du jour et en direction du retour que l’approche de l’ancienne gare de bifurcation des Ifs s’amorce non sans intérêt exploratoire, à commencer par l’accès principal depuis la départementale 11. Mais faisant face à une rangée de clôtures et l’irruption de quelques chiens, contourner le site en faisant une grande boucle autour du château voisin s’impose comme une alternative sage. Par détournement, l’engagement depuis la route des Ifs dans le chemin caillouteux conduisant à la ferme du château se fait en progression lente. Tout au bout du chemin, l’agriculteur local semble s’être approprié l’accès permettant d’atteindre le pont enjambant la voie ferrée de la ligne de Bréauté Beuzeville à Fécamp en s’étant aménagé un passage pour ses bêtes, barrant ainsi l’accès au curieux. La question de la légalité de ce type d’appropriation étant posée, la décision de s’en affranchir est immédiate, et passer le « barrage » ne prend alors que quelques instants. Depuis l’ouvrage dénivelé donnant sur la plateforme ferroviaire quelque peu en tranchée, la silhouette de quelques valeureux matériels roulants cantonnés sur de vieilles voies de service des emprises de la gare des Ifs s’esquisse timidement dans la végétation. Quelques repérages visuels faits en amont montraient assez parfaitement l’amas de vieux engins et autres voitures semblant à l’abandon. Par ailleurs plusieurs sources sur la toile mentionnent encore l’intention (manifestement dépassée) de préserver ce patrimoine sur rails. Le tableau dressé est tout autre. Ici aussi le temps est passé, les bonnes intentions s’étant peut-être finalement perdues à leur manière dans le sillage de l’ancien tracé de la ligne disparue vers Le Havre. Le climat ambiant se chargera de poursuivre leur érosion, mais parti comme il est, l’Homme ne s’érodera-t-il pas plus rapidement que ces vestiges en perdition ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Horizon (funèbre)
Entre les Essarts le Roi et le Perray, sur la ligne de Paris Montparnasse à Brest, samedi 30 avril 2022
A peine passées les 22h00 qu’une première alerte radio signale la présence d’un individu présent dans la voie 1 et y restant. La scène se déroule approximativement au niveau du pont de l’Artus, sur la commune des Essarts. Il s’agit d’un jeune homme au comportement instable (puis suicidaire, avéré par la suite). Prise de mesures, ordre de restriction de vitesse, deuxième alerte radio, compte rendu de la situation avec confirmation du comportement trouble de la personne (sortie finalement de la voie mais en pleurs au téléphone), astreinte dépêchée, police et pompiers pour prise en charge…
L’incident met quand même près d’une heure et trente minutes pour se résoudre et permettre le retour à la normale. Un événement de ce type un samedi soir n’est pas courant, dans le secteur. D’autant que le nombre particulièrement restreint de circulations en cet énième week end de travaux (vaste sujet) limite, de fait, les risques de heurt. Mais probablement notre jeune homme n’aura-t-il pas eu suffisamment de détermination pour en finir. Puisse-t-il s’en remettre.
Ce genre de fait, d’autant plus local, invite les fragilités de ce monde perdu dans le quotidien. Comme si le fil s’affinait toujours plus. Comme si les files de rail devenaient chaque fois plus tranchantes. Mais abandonner traduit-il vraiment un manque de courage ? Et si la lucidité s’inscrivait dans une autre perspective ? De là à prétendre savoir sur quoi débouche la voie se perdant dans l’infini que ferme l’horizon (funèbre)…
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
Mentalités
Gare de La Verrière, mercredi 27 avril 2022
La présence supposée d’un bagage abandonné désormais renommé « objet délaissé » dans le corps de la rame du train à destination de Rambouillet faisant 12h53 au départ de La Verrière est signalée plusieurs minutes avant son arrivée dans cette même gare, où il est demandé à l’aiguilleur en fonction de le retenir le temps que l’équipe commerciale en place procède à la levée de doute. A l’arrivée du train, aucun agent n’est présent à quai, l’incompréhension et l’impatience se font déjà sentir et c’est finalement une commerciale, dont j’apprendrai sans tarder qu’elle est du service de soirée, arrivée en gare en avance, qui surgit au bout de quelques minutes, avant même d’avoir embauché officiellement. Confirmé par des témoins, le « colis » a entre temps disparu, récupéré par son supposé propriétaire venu manifestement corriger son oubli.
Conséquence du temps de réactivité du service commercial doublé du temps de procédure (bien que rapide, et par un agent à peine en service), la rame ne se remettra en mouvement que près d’un quart d’heure plus tard (14 minutes précisément, d’après une source interne). Renseigné, j’apprendrai vite que l’équipe commerciale de matinée, encore présente au moment du premier signalement, n’aura manifesté aucun signe d’empressement pour intervenir, comptant peut-être, non sans intérêt, sur la relève en avance de leur collègue de soirée. Pourtant, je découvrirai plus tard que leur fin de service n’était prévue qu’à 13h15…
Derrière ce nouvel événement sans gravité ni négligence sur le plan de la sécurité des circulations, des biens et des personnes (quoique), il ne faut surtout pas minimiser les faits pour ne jamais banaliser : d’une part car la gestion des objets délaissés relève d’un aspect sûreté loin d’être négligeable par les temps qui courent, d’autre part parce que le retard occasionné génère un retard en bout de ligne et, potentiellement, des correspondances manquées aux points d’arrêt des bus ou gares routières en aval. De plus, ce train étant tiré par le conducteur devant assurer l’omnibus de 13h22 au départ de Rambouillet à destination de Paris Montparnasse, ce dernier accusera un retard certain au départ, et il lui faudra atteindre Versailles Chantiers pour le rattraper enfin. Par ailleurs, et pour appuyer sur un point sensible, l’absence de réactivité de certains commerciaux dans cette entreprise, parfois parmi les plus gueulards, génère de la crispation non seulement chez les usagers mais aussi chez leurs collègues dotés du sens professionnel à peu près attendu. Ceux qui se gargarisent d’en faire le moins possible comme ceux qui cultivent l’art de la revendication par principe (rappelons-nous par exemple la mobilisation pour la « demande de reconnaissance de l’engagement des cheminots pendant la crise sanitaire », en novembre dernier…) feraient bien de se regarder dans le miroir avant de ressasser à longueur de temps leurs plaintes victimaires de salariés en proie aux mauvais traitements prétendument infligés par leurs directions respectives comme aux critiques, même si parfois exagérées et outrancières, de la clientèle à leur égard. Cette suggestion pourrait d’ailleurs concerner tous les corps de métiers SNCF, les plus gueulards n’étant pas toujours les plus professionnels. Le comportement de certains me ferait presque cautionner certaines décisions et réorganisations internes, l’amaigrissement des plages d’ouverture des gares et guichets, la suppression de nombre de postes et j’en passe. Comment avons-nous pu en arriver à de telles dérives ? Les mentalités ont elles tant changé pour que la société dans toutes ses dimensions en pâtisse à ce point, les services de la SNCF étant loin d’être les seuls à s’effriter ?
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Incivilités – malveillance – sûreté
Captif et vigilant
Train DEFI de 14h19 au départ de La Verrière, gares de La Défense et de Saint-Lazare (et abords), mardi 15 février 2022
Avant toute chose, c’est l’heure de départ du DEFI du jour (et de la période) qui attire mon attention, car depuis le 07 février, les trains à destination de La Défense ainsi que leurs homologues du sens retour sont avancés d’une minute à La Verrière. L’information, particulièrement minimale, est communiquée en une brève phrase sous un bandeau en blanc sur fond bleu au titre d’Info travaux. Me renseignant plus tard, il semblerait que cette particularité horaire soit provisoire, dans le cadre de la mise en place progressive de limitations temporaires de vitesse sur la ligne en lien avec les travaux des gares en cours (et qui s’éternisent). La situation doit perdurer jusqu’au 11 mars ; soit.
En gare de Saint-Quentin en Yvelines, je repère à quai deux hommes portant le masque sous le menton. Ils montent et se placent en échangeant bruyamment dans la partie isolée de la plate-forme d’extrémité. Ils parlent une langue étrangère et écoutent de la musique à un niveau sonore inadapté en promiscuité. Plus loin sur la ligne, un jeune homme non masqué monte et s’installe à quelques fauteuils de moi sur ma droite. Calme et respectueux de prime abord, il pose ses pieds sous le siège d’en-face et consulte son téléphone, l’occupation ultime de notre époque. Un peu plus tard, quelqu’une l’appelle et le voilà prenant la conversation en activant le haut-parleur intégré de l’appareil. Dépourvu d’oreillette, ce que ne manque pas de lui faire remarquer son interlocutrice dont je comprends parfaitement les mots, il lui rétorque avec délice avoir baissé (le volume) pour ne pas déranger. Or comme quiconque peut le constater, la sortie audio des téléphones mobiles est généralement des plus médiocres et nasillardes, et cet épisode le confirme.
Descendu à La Défense pour « correspondance » à destination de Saint-Lazare, le temps du changement de quai, le bain de foule, les travaux et la forte annonce sonore renseignant sur l’état du trafic me remettent dedans. En attendant mon train, mon regard explore les alentours, balayant à son habitude les environs, captif et vigilant : du petit groupe de jeunes femmes éloignées au mur froid et laid qui me fait face, puis du fil caténaire au-dessus de moi jusqu’à la tête de quai et son puits de lumière naturelle ; jeux de regard…
Une fois à bord du train attendu, je me laisse porter, jusqu’à la montée plus loin d’un homme haletant quelque peu, muni d’un bagage monté sur roulettes, et téléphonant à l’oreillette. Sans sembler passionnant, l’échange m’intrigue un instant : il y est question d’une soirée passée avec une connaissance, manifestement féminine, et de son regard (qui « ne trompe pas », selon ses dires) ; jeux de regard, là aussi, où bilan mitigé d’une soirée de la veille ?
Saint-Lazare, terminus des oubliés, et reprise du bain de foule et du bruit environnant dès mon arrivée. Sortant de la gare, approchant de la Cour du Havre, je repère un jeune homme filant en trottinette sur le trottoir et jetant de brefs coups d’oeil ici et là. Il me dépasse largement mais je le retrouve quelques dizaines de mètres plus loin, descendu de son engin, s’adressant à une jeune femme correspondant manifestement à la cible convoitée : son approche est sans détour, rentre-dedans à souhait, gestuelle forcée et voix assurée, à me demander si, plutôt qu’une tentative de drague directe, il ne s’agit pas d’une approche commerciale à dessein. Paris, me dis-je, en soufflant intérieurement, tout en contrôlant le plaquage de mes effets personnels sur moi, l’oeil toujours aussi captif et vigilant, sur fond de coups d’avertisseurs sonores de véhicules me barrant le passage. Ce quartier n’est décidément jamais calme quand j’y transite.
Mon retour en fin d’après-midi dans un train à destination de Saint-Nom la Bretèche sera pour moi l’occasion pour la première fois de faire vérifier mon titre de transport par une équipe de contrôleurs en civil munis de brassards jaunes. J’avais déjà entendu parler du dispositif, je l’aurais vécu : bref, inattendu, mais efficace. Plongé dans mon nouvel atlas ferroviaire, ouvrage passionnant, le temps de trajet jusqu’à Saint-Cloud me sera court, m’évitant les effets troublants de cette mélancolie caractéristique des trajets qui me rendent triste quand je voyage seul.
Incivilités – malveillance – sûreté
Valentin du jour
Gare de La Verrière, lundi 14 février 2022
C’est en plein après-midi, en début de pointe, qu’un individu faisant irruption aux tiroirs (fond de gare côté province) se met à caillasser les rames garées en attente d’évolution à quai pour leurs départs respectifs en direction de La Défense. Les conducteurs s’enferment dans leur cabine. Les tirs de projectiles sont avérés, avec dégradation du matériel roulant. L’avis à la SUGE est lancé, mais un délai d’intervention de 20 minutes (maximum) est annoncé. Puis l’alerte radio est activée dans le secteur depuis l’un des deux trains, l’énergumène courant et criant dans les voies, témoignant, comme on peut se l’imaginer, d’une grande stabilité mentale, ce qui, dans le secteur, n’est pas forcément très surprenant.
Les postes d’aiguillage encadrants prennent leurs mesures et se préparent à remettre des ordres de restriction de vitesse aux circulations attendues des deux sens mais la commerciale de service signale que l’individu quitte la gare en direction de la ville. La circulation reprend alors « normalement » (le temps de la reprise), et d’après les informations obtenues ensuite, notre Valentin du jour sera interpellé plus tard en ville.
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500 mètres
Au fil de l’ancienne ligne de Beaupréau à Saint-Jean de Linières (Sainte-Gemmes sur Loire et Chalonnes sur Loire), de la ligne de La Possonnière à Niort (section neutralisée Cholet – Nueil les Aubiers), de la ligne de Sablé à Montoir de Bretagne (section fermée Château Gontier – Chemazé), de son ancienne bifurcation vers la ligne de Craon, et des abords de la gare de Château Gontier, février 2022
Saisissant une nouvelle proposition, me revoilà parti pour les Pays de la Loire, à commencer par le Maine et Loire, où je rejoins notamment celui qui, du 07 au 09 février inclus, doit me servir de guide ferroviaire (que j’accompagnerai en l’entraînant aussi dans une certaine mesure au fil de nos explorations). A mon arrivée, et alors que le jour commence à décliner, nous partons pour le pont de Pruniers, ouvrage d’art à treillis métallique toujours accessible depuis ma dernière venue, sur le tracé de l’ancienne ligne de Beaupréau à Saint-Jean de Linières, de la compagnie du chemin de fer d’intérêt local de l’Anjou (1er quart du 20e siècle). Pour la première fois, suivant mon acolyte, je traverse intégralement l’ouvrage jusqu’à gagner le remblai et apercevoir sans tarder deux garde-corps de chaque côté du talus. J’identifie immédiatement la présence d’un ouvrage d’art permettant un passage sous la plate-forme, un petit pont repéré par d’autres avant mon guide qui jusqu’il y a encore récemment doutait du repérage établi par l’équipe des Inventaires Ferroviaires à cet endroit. Ils ne s’y étaient pourtant pas trompés, mais il y aurait peut-être un petit complément à apporter, ce à quoi je projette de plancher prochainement. Cet ouvrage, ancien pont rail, n’est que le premier d’une liste assez conséquente, et de toutes tailles, qui m’attendent les deux prochains jours. Cette partie relevant davantage de mon acolyte (spécialité professionnelle oblige), je m’attends déjà à me régaler de nouvelles découvertes.
Avançant à hauteur de La Croix Verte, sur la commune de Sainte-Gemmes sur Loire, nous inspectons les anciennes emprises du tracé de la section de ligne du Petit Anjou nous intéressant, lampes de poche en main, la nuit étant désormais complètement tombée. Descendus d’une vieille Renault 5 garée à cheval sur un bout de trottoir à deux pas, nous voilà nous improvisant explorateurs nocturnes un moment, dominant d’un côté la tranchée de la ligne de Tours à Saint-Nazaire, longeant de l’autre les chaumières. Au bout, un champ, dont l’accès est fermé par un portail. Faisant le tour, à l’extrémité opposée, nous prenons conscience du pont route sur lequel nous nous trouvons, et sous lequel la voie passait jadis, aujourd’hui tranchée envahie par la végétation. Nous passons par-dessus les garde-corps et nous penchons pour voir : le vide sous l’ouvrage est partiellement comblé. Remontant la tranchée en la longeant depuis la crête, nous gagnons l’extrémité du remblai et du pont de Pruniers du début ; la boucle est bouclée, et les premières excitations exploratoires m’émoustillent déjà. Mais ne nous emballons pas pour autant, car chacune de mes (nouvelles) excursions sur les traces d’emprises du chemin de fer délaissé et d’éventuels vestiges ne me laisse jamais tout à fait indifférent, et avec le temps, prendre davantage encore la mesure de l’ampleur des réseaux d’antan et du délitement de celui de la SNCF d’aujourd’hui me laisse toujours un goût amer ; et je n’ai encore rien vu de ce triste constat à ce moment précis, qui ne va cesser de se conforter à la vue de l’état de l’infrastructure et des ouvrages visités sur la section de ligne en aval de Cholet les deux jours suivants.
Dès le lendemain, effectivement, certains des premiers ouvrages que nous approchons, parfois en descendant en s’agrippant aux branches et autres racines de talus pour gagner la voie en déblai, sont ceinturés voire saturés de végétation, arbustive comme non arbustive, et la perspective des rails est généralement interrompue par les arbres y ayant largement poussé depuis la suspension du trafic. Ici et là, passant d’un point kilométrique à un autre, s’éloignant progressivement et suivant un ordre parfaitement établi allant dans le sens de la ligne, ces portions de bois remontant du ballast et épousant la voie laissent malgré tout passer les jolis rayons d’un soleil radieux en ce jour.
Plus loin, encore sur la commune de Cholet mais à l’approche immédiate de la base de loisirs de Ribou, nous nous glissons derrière des courts de tennis pour gagner une bande de terre au bout de laquelle se trouve une marre et un aqueduc voûté : semblant nous inviter à traverser, l’ouvrage maçonné laisse passer trop d’eau pour s’y engager sans risque (nous sommes sans botte). L’endroit a cependant un charme certain.
Moins de 850 mètres plus loin, nous accédons au beau viaduc maçonné au-dessus du lac de Ribou, dont la plate-forme et les garde-corps ont été manifestement aménagés pour les piétons, sans dégradation ni dépose visible d’éléments d’infrastructure.
Plus loin sur la commune de Maulévrier, au fond d’un pré que nous traversons après échange avec la riveraine, un énième ouvrage voûté, ancien passage à bestiaux servant manifestement davantage aujourd’hui d’aqueduc, attire cette fois davantage l’attention de mon guide qui note, en plus du lierre envahissant bien que non réellement invasif (végétation non arbustive), un affouillement à la base de la culée amont sur toute sa longueur. Aucun mouvement tourbillonnaire de l’eau n’y est pourtant observable vu le débit.
Ces visites d’ouvrages, dites simplifiées (section de ligne non circulée oblige), d’accès souvent délicat, consistent surtout à s’assurer de l’absence de désordre hydraulique et de risque vis-à-vis de tiers (circulations autres, véhicules agricoles et routiers, piétons, animaux d’élevage…). Les défectuosités ou désordres sortant de ces champs sont aussi bien sûr à relever, mais qu’en est-il du traitement des procès-verbaux dressés et remontés à la hiérarchie concernée chez SNCF Réseau ? Et quid de la considération apportée par cette même hiérarchie aux remontées des agents de terrain quant à l’entretien de tels ouvrages semblant manifestement n’intéresser plus personne sur de telles sections de lignes plus circulées depuis des lustres ? Ces visites d’ouvrages, bien que très espacées sur de telles sections (tous les 06 ans), semblent n’être maintenues que par obligation strictement réglementaire, aussi longtemps qu’elles restent propriété du réseau ferré national. Ce que me rapporte mon acolyte me saperait le moral tant la mentalité dans les hautes sphères de l’Equipement, à la SNCF, semble déplorable ; du moins en Pays de la Loire.
Pourtant, tout au long de ces deux jours, le nombre d’ouvrages d’art approchés, petits ouvrages sous voie (aqueducs jusqu’à 02 mètres d’ouverture, passages à bestiaux, buses et dalots), ponts rail et autres ponts route, forcent le respect vis-à-vis de nos aïeux bâtisseurs. D’autant plus quand on sait que le seul réseau ferré national comporte en moyenne un ouvrage hydraulique (de type buse, aqueduc ou dalot) tous les 500 mètres, souvent vieux d’une bonne centaine d’années et sujets à une dégradation importante. Si remarquer avec intérêt la diversité des installations techniques se côtoyant dans l’environnement ferroviaire le plus visible m’occupe depuis des années, prendre davantage conscience du nombre (très) conséquent d’ouvrages moins visibles (quand ils ne sont pas cachés voire introuvables), ouvrages en terre compris, les rend tout aussi captivants, d’autant plus par leur diversité (en maçonnerie (moellons, pierres de taille ou briques), en métal ou en béton). Dès lors, les désordres constatés sur nombre d’ouvrages, causés parfois par la présence de végétaux arbustifs (enracinement dans la maçonnerie), comme par exemple le tronc d’arbre remarqué sur le couronnement de l’aqueduc coudé visité sur la commune de Saint-Pierre des Echaubrognes, ne peuvent à terme que conduire à leur ruine en l’absence de travaux de réfection ou réhabilitation. Mais peut-être la stratégie du pourrissement, comme ailleurs dans la société, est-elle choisie à dessein par la SNCF d’aujourd’hui. Ou comment se débarrasser d’un poids mort par désengagement, « économie » et facilité…
Partir à la recherche d’un ouvrage d’art sur la base d’une documentation limitée, cartes et repères kilométriques en main, c’est parfois (souvent) se garer en bord de chaussée, au pied d’un pont, le long d’une clôture, d’une lisse herbagère ou à un passage à niveau, s’engager dans un champ, traverser un pré (en évitant les bestiaux), parfois un terrain vague, sonder les lieux d’un coup de regard et repérer le léger relief se dessinant en creux, dégager branchages, feuilles et autres herbes, trébucher dans les ronces (même en plein hiver), avancer par moments à tâtons, doutant même parfois.
Auparavant, retrouver les traces d’un remblai, d’un talus ombragé ou d’un alignement d’arbres me mettait sur la voie et je m’en enthousiasmais pleinement. Aujourd’hui, celle-ci semble ne plus me suffire, et, à l’image du bateau, où la coque serait la voie et ses fonds de cale les ouvrages, approcher ne serait-ce que l’un d’entre eux en le découvrant avec l’émerveillement d’un enfant et le traverser (quand c’est possible) revient à prendre le large ; là où l’eau coule, sur les traces des anciens, qui doivent se retourner dans leur tombe en voyant comme nous laissons faire…
Les 10 et 11 février sont pour moi l’occasion de monter plus au nord, en Mayenne, où mis à part les abords de la gare de Château Gontier et sa section amont depuis Sablé, les rails ont disparu en aval, emprises converties en voie verte, laissant quand même quelques rares vestiges du temps de l’exploitation ferroviaire parfaitement identifiables par l’observateur sensible, avec, en remontant la ligne : Segré et son ancien pont rail à tablier à treillis métallique (repeint d’un bleu manifestement local), sa barrière à un vantail pivotant à double treillis métallique et son heurtoir, la gare de La Ferrière de Flée et son poteau kilométrique amont (307) à double face en triangle (type Ouest), ses bordures de quais et ses emprises, la gare de Chemazé et ses bordures de quais, ses emprises et leur dédoublement (ancienne bifurcation vers la ligne de Craon, ligne de courte longueur fermée au trafic vers 1941 et déclassée depuis), la gare de Château Gontier (terminus de la section depuis Sablé exploitée en trafic restreint) et ses voies embranchées, son passage à niveau n°31 aux rails munis de cordons inox, son point d’aiguillage en bonne partie neutralisé et son ancien bâtiment autocommutateur téléphonique datant d’un autre âge.
Je ne serai pas en nage pour autant, au matin du deuxième jour, parcourant à vélo dans un froid saisissant sous une belle lumière ensoleillée plusieurs kilomètres de la voie verte, jusqu’à découvrir de nouveaux vestiges…et si tout n’était qu’une question de distance ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
« sur ces rails abandonnés »
Au fil de la section de ligne neutralisée de la grande ceinture ouest entre Saint-Germain en Laye Grande Ceinture et Achères, lundi 24 janvier 2022
Parti au matin encore à la fraîche pour mon accès convoité à proximité du golf de Saint-Germain, c’est chaudement couvert que je me lance, accompagné par le même collègue qu’en août dernier en Eure et Loir, tout aussi ouvert à cette escapade d’un autre genre. Les traverses glissantes nous invitent à la vigilance, mais la période hivernale nous permet d’avancer rapidement sans gêne : la végétation est au plus bas, même si les ronces retiennent ponctuellement nos pas.
La progression se fait donc sans encombre, même si dès l’origine du parcours, je constate la présence récurrente de petits fontis dans l’entrevoie. Nous traversons en léger contrebas le golf, et je remarque ici et là des tableaux indicateurs de vitesse pentagonaux, destinés à certains convois et sur de courtes sections de ligne à parcourir à vitesse limitée. Cette signalisation de forme atypique n’étant pas la plus répandue, je me plais à lui tirer le portrait.
Nous approchons plus loin l’ancienne gare de Poissy Grande Ceinture, dont l’état est tout aussi déplorable qu’à ma précédente venue. Au pied d’elle, jonchent nonchalamment sur le lit de pierres de ballast cannettes et autres poches de Capri-Sun, marque de jus de fruits désormais arborée par de bien nombreux « jeunes », comme un code d’appartenance de plus, ou un signe identitaire de reconnaissance supplémentaire. A peine plus loin, au pied d’immeubles d’habitations encore récents lui faisant négligemment de l’ombre et avant la traversée vers l’ancien embranchement où le taquet dérailleur numéro 9 accompagné de ses serrures d’enclenchement est encore dressé, le petit poste d’aiguillage de la gare se tient à l’écart, dépourvu de toiture, ouvert à tous les vents et largement gagné par la végétation. A l’intérieur, encore accrochés aux parois de briques et de métal, des vestiges de supports d’installations semblent encore résister malgré la rouille.
Il fait encore froid, et le givre, joliment cristallisé par endroits dans les voies, est tenace. La sortie de cette zone de Poissy en direction de la bifurcation des Ambassadeurs à Achères devient plus boisée et sauvage que la première section, avec par endroits de hauts pins dominant la forêt domaniale qui nous borde. Il y aurait presque un air de vacances…
A l’extrémité accessible de la voie 2C, en contrebas de sa sœur en remblai, quelques mètres avant la clôture au-delà de laquelle la voie est coupée, des écritures sur le champignon d’une file de rail ne passent pas inaperçues.
A deux reprises, je monte à l’échelle de signaux éteints et fatigués par l’attente que leur heure vienne. Sur le premier, un tableau indicateur de vitesse à 60 km/h, sa trouée centrale me permet d’y glisser un œil (et mon objectif), m’offrant après coup une perspective presque onirique.
Une fois le pont rail traversé, sur le signal le plus proche de l’ancien branchement vers Achères, la hauteur m’offre un point de vue aérien de premier choix. Au loin, le poste d’aiguillage de bifurcation d’Achères Ambassadeurs, désormais fermé (non exploité), m’intrigue.
Sur la quinzaine de kilomètres aller-retour dans le ballast de cette nouvelle virée de prime abord dépaysante, l’état des lieux est cependant assez tristement ordinaire dans un environnement de ce type : l’entretien de l’infrastructure laisse clairement à désirer, et les déchets, dégradations, graffitis, pillages d’armoires d’appareillages (quoiqu’en fin de compte salvateurs vue leur destinée) et abandons de cyclomoteurs probablement dérobés nous laissent tout le loisir de ne surtout pas trop nous dépayser de « la banlieue », sirènes de véhicules d’urgence et bruit de fond de la route en sus.
La phase 2 des travaux d’aménagement du futur tram-train (tram T13) reliant à terme Saint-Cyr au sud à Achères au nord via Saint-Germain et Poissy, projetée à l’horizon 2027, saura-t-elle redonner de l’éclat (et de l’intérêt) à cette radiale délaissée, même sans reprendre l’intégralité du tracé d’origine ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Matériel roulant
Pelliculages
Gare de La Verrière, mardi 23 novembre 2021
Aux alentours de 22h00, je remarque un large pelliculage colorisé appliqué sur les baies vitrées du bâtiment voyageurs de la gare, servant une communication vantant les mérites du nouveau matériel roulant mis en circulation depuis peu entre Paris Montparnasse et Rambouillet. Deux de ces Regio 2N circulaient déjà depuis un an entre la gare tête de ligne et Sèvres Rive gauche d’une part, et Dreux d’autre part. L’arrivée, bien que très progressive, de ce nouveau matériel sur cette branche en substitution des VB 2N semble avoir excité quelques agents de bureaux Transilien pour communiquer sur les avantages (relatifs) de ces nouvelles rames, toutes en éléments automoteurs électriques, l’avenir n’étant décidément pas aux rames tractées…train Corail, j’ai une pensée pour toi.
Florilège des arguments mis en avant pour l’image, une « architecture novatrice », des sièges de couleur, des rames plus capacitaires et plus confortables (à voir à l’usage), de la climatisation, des caméras de surveillance et, signe de « modernité », des écrans rendant ces trains « communicants » (parce que ça devait manquer)…
Par ailleurs, des comble-lacunes, destinés prioritairement aux personnes à mobilité réduite, équipent ces rames à leurs extrémités pour faciliter la desserte de la plupart des gares. A suivre dans le temps, mais il serait souhaitable qu’Ile-de-France Mobilités, via SNCF Transilien, emploie la même énergie zélée pour étoffer à nouveau les plans de transport altérés de nos liaisons. Car le mécontentement persiste quant à l’allègement du plan de transport des lignes N et U touchant principalement les heures creuses de semaine et le week end pour la U, et le dimanche pour la N (du moins sur la branche Montparnasse – Rambouillet).
Le Covid est une chose, et nous tous avons traversé la période la plus impactée de l’épidémie avec plus ou moins d’abnégation et de facilité, mais aujourd’hui, à l’heure où les étudiants ont en grande partie (sinon tous) repris le chemin des écoles et universités, où le télétravail a très largement diminué, où les parkings de gares se remplissent à nouveau fortement, je ne comprends toujours pas ce choix régional de maintenir un plan de transport allégé pour ces deux liaisons (et pour ne parler que de ce que je connais le mieux localement, parce que d’autres lignes sont peut-être aussi touchées). Comment s’expliquer une telle obstination à maintenir un plan de transport allégé pour ces lignes, maintien confirmé par les prévisions du nouveau service de la mi-décembre auxquelles j’ai récemment eu accès, alors que « la vie » a repris son cours presque normalement malgré l’incertitude encore palpable chez quelques unes de nos élites ?
Côté usagers comme côté cheminots, ce choix laisse quelque peu perplexe, d’autant plus lorsqu’on assiste à un déploiement inaugural fanfaronnant pour célébrer le nouveau matériel roulant arrivant sur l’axe. Faut-il rappeler que le STIF, en son temps, via Transilien, fut bien prompte à communiquer sur la mise en place de ses cadencements successifs et le renforcement apprécié (bien qu’à certaines heures de la journée seulement) de ses plans de transport ? Depuis maintenant de longs mois, la cadence a bien changé ici (un train par heure et dans chaque sens en heures creuses de semaine et le week end sur la U, un par heure et par sens le dimanche sur la N, branche Montparnasse – Rambouillet). Nous régressons donc, pour un tel axe en zone dense d’Ile-de-France, et ce n’est certainement pas la communication parfaitement léchée de l’autorité organisatrice sur la modernisation de la billettique des transports en commun et la dématérialisation des titres de transports qui redore le blason de leurs décisions qui, en outre, sont contraires à toutes les incitations les plus officielles d’emprunter justement les transports collectifs. Mais sommes-nous à une contradiction près ? Et quid des conducteurs de trains initialement employés pour couvrir les postes correspondant à un nombre de circulations déterminé ?
Cette problématique fera l’objet d’un écrit que je transmettrai à Ile-de-France Mobilités début décembre.
En parallèle, de très sérieuses menaces pèsent sur la réduction d’amplitude de la présence d’agents dans les gares Transilien. Un syndicat usant de la couleur verte et bien connu pour ses glissements radicaux se fait justement le porte-voix de ces cheminots de la filière commerciale du périmètre Transilien en en faisant se rassembler devant le siège à Saint-Denis le 1er décembre. Comme souvent, si des revendications s’entendent (problématique de l’humanisation des gares, des gares converties en points d’arrêt non gérés, de l’externalisation des tâches (sous-traitance massive), des bulles accueil, guichets et agences, du transfert de tâches incombant initialement à d’autres corps de métier…), d’autres laissent bien plus perplexes. On ne devrait jamais occulter la responsabilité, même partielle, des agents commerciaux dans la situation que nous connaissons aujourd’hui. Si certains sont bons, font du mieux qu’ils peuvent et restent professionnels, d’autres s’avèrent être de véritables catastrophes et participent encore de l’image dégradée collant toujours à la SNCF. Les pelliculages successifs de l’entreprise publique n’y font rien, le vernis se craquelle toujours plus. Du difficile équilibre à trouver entre couverture de postes, gestion budgétaire et mentalités…
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
Effets miroir
Gare routière de La Verrière, gare de Paris Montparnasse, gare de Rambouillet, mercredi 10 – samedi 13 novembre 2021
Mercredi 10 vers 14h00, alors que je traverse de bout en bout la gare routière de La Verrière toujours en travaux, passant à proximité immédiate de l’arrêt de bus du 417 (SQYBus), je perçois une légère agitation autour d’un jeune homme gesticulant ouvertement au niveau de l’abri, édicule devant lequel je ne passe que quelques instants à peine. C’est un petit groupe de « jeunes » au nombre de trois qui, stationnant là, occupe l’espace à eux seuls en causant. L’agitateur du début restant debout, allant et virant, j’identifie son second bien assis sur le banc central de l’arrêt, le troisième tirant avec fierté sur son cylindre d’herbe ou de tabac, un pied négligemment posé sur le même banc. Mon regard croise le sien et en un instant la scène prend forme devant mes yeux : ils occupent le terrain et le font savoir. Autour, d’autres passagers patientent, calmement, en retrait, presqu’effacés. Il va sans dire qu’il ne viendrait pas à l’esprit éclairé de nos trois énergumènes de faire preuve de bienveillance en se dégageant pour leur laisser la place. Ces individus en survêtement incarnent tellement ce qui me rebute dans le déclin de notre société que je m’y perdrais probablement si je me laissais aller à mes bas instincts et si j’étais moins soucieux, plus libre, mais aussi plus inconscient des conséquences. Face à cette évidence qui me frappe une nouvelle fois, je continue, résilient, sac à dos à l’épaule, ma marche, pas à pas jusqu’à mon lieu de travail, en ne cessant néanmoins de cogiter à ce bref épisode. Les représentations de ces « jeunes » sont biaisées, et tous, d’une manière ou d’une autre, que nous intervenions ou pas, nous nous condamnons avec eux.
Jeudi 11 vers 13h00 en gare Montparnasse, alors que j’arrive à l’entrée du quai où stationne mon train régional que je m’apprête à emprunter pour Versailles, je remarque la présence d’un agent d’accueil, manifestement préposé côté butoir, évoluant au voisinage de la cabine de conduite de queue, porte ouverte. A cet endroit, un petit sac à dos repose en attendant, j’imagine, son propriétaire l’ayant peut-être (dé)laissé aux soins du commercial présent quelques minutes. L’instant d’après, l’agent saisit le sac d’un air ennuyé voire agacé, et alors que je le croise, l’entends s’exprimer à voix (insuffisamment) basse : « Casse les couilles (…) ce sac ! ». J’ai mal. Comment envisager de meilleurs rapports entre les usagers et les employés de la SNCF où les plus exposés de ces derniers doivent, certes, faire face à l’agressivité ambiante du français de base énervé et pressé, mais se doivent dans le même temps d’adopter de la tenue, ce à quoi leurs formations ne mettent manifestement pas suffisamment l’accent. De quoi oser un parallèle avec les polémiques régulières autour des rapports entre citoyens et forces de l’ordre, policiers en particulier. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser à la difficile tâche de garder son sang-froid chez ces agents que les (bien trop) nombreuses provocations ne peuvent que conduire à une irrépressible envie d’en découdre, tôt ou tard. N’a-t-on pas, au fond, la police qu’on mérite ? Et les cheminots ne sont-ils pas, en fin de compte, à l’image des français ? Si le miroir vaut pour tous ces agents, il vaut pour nous tous également.
Samedi 13 vers 17h40, étant descendu à Rambouillet parmi la foule du train TER 16773 pris à 17h22 à Versailles Chantiers, un homme au crâne rasé, accompagné de deux femmes dont l’une tient ce qui ressemble à une banderole repliée, parle à voix haute en commentant le port du masque de nous autres. S’adressant nerveusement on ne sait trop à qui de nous ou de ses complices de voyage, l’homme, qui ne porte pas (ou plus) de masque, commence à invectiver bruyamment la foule, lui reprochant sa docilité bienveillante dans le mouvement au sens propre comme au figuré ; effectivement, nous rejoignons tous l’unique escalier d’accès au souterrain, et nous gardons pour la majorité d’entre nous le masque sur le visage, promiscuité criante et règles en vigueur oblige. L’individu gesticule, se retourne, virevolte tout en avançant en se démarquant des autres dont il se plaît à nous montrer son importance. Notre cas du jour serait-il un acharné contestataire des consignes sanitaires en vigueur dans les emprises des gares françaises, ou ce sujet ne lui donne-t-il pas simplement un plaisant prétexte (un de plus) à montrer à ceux qui l’entourent que comme tout bon français de base énervé et pressé qui se respecte, lui ne se laisse pas faire ? Une telle crétinerie m’affecte un peu sur le coup malgré les remarques que je verbalise à ma complice de voyage avec qui je fais le trajet, comme pour essayer de me détacher de cet aboyeur parasite et relativiser.
Dans la continuité immédiate de cet épisode, montant sur le quai suivant pour le train PORO de 17h52 à destination de Montparnasse, je n’ai fait que quelques pas qu’un jeune homme crache par terre à quelques centimètres de moi en me croisant. S’il ne me touche pas et si son geste ne traduit aucune animosité identifiée envers moi, je ne peux pas occulter un tel comportement : « La banlieue… », me dis-je d’un air dégoûté et méprisant en intégrant paradoxalement cette réalité devenue presque banale pour ne pas dire normale.
Quelques mètres à peine plus loin, je remarque la présence d’un vieil homme marqué semblant quelque peu négligé qui, assis sur un strapontin au niveau de la plate-forme entre deux voitures de la rame en stationnement, s’allume une cigarette comme si la chose était là aussi des plus naturelles et normales. Si les portes sont ouvertes, n’en demeure pas moins qu’il fume dans le train.
Le respect des règles va décidément à vau-l’eau, ne serait-ce que par petites touches, un peu partout et un peu n’importe quand. Nous périclitons, c’est un fait, et ce florilège de « petites » incivilités constatées en à peine quatre jours, qui sont pour certains le lot quotidien, pourrait en inciter à chercher de l’autre côté du miroir voir si l’herbe n’y est pas plus verte, parce que l’image renvoyée par ce « vivre-ensemble » qui n’en a que le nom est d’une grande misère humaine et en dit forcément long sur les tensions de notre société qui perdurent en s’installant, dégradant le commun, déstructurant tout lien.
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Incivilités – malveillance – sûreté
Animalités
Des gares des Essarts le Roi au Perray, lundi 11 octobre 2021
Evénement improbable dans le secteur, la circulation des trains est impactée sur les coups de 08h15 pour cause de divagation de bestiaux entre Les Essarts le Roi et Le Perray ! Il s’agit d’une chèvre seule, un bouc, selon les signalements, localisé du côté de la voie 2. La présence de l’animal dans les emprises entraîne un traitement correspondant bien parfaitement à une divagation de bestiaux, dont la conséquence est vite perceptible : la remise d’ordres de limitation de vitesse dans les deux sens ralentit fortement le trafic sans le supprimer heureusement. Mais il faut pas moins de 02 heures pour ramener la bête derrière sa clôture (enclos d’écopâturage). Si la maîtrise de la végétation constitue le premier poste de dépenses en terme de maintenance du réseau, ces modes alternatifs, aussi louables soient-ils, ne sont pas parfaitement sans risque vis-à-vis de l’exploitation ferroviaire. Relativisons néanmoins, car le soir même en gare des Essarts, c’est à un tout autre genre d’animaux auxquels nous avons affaire : entre 19h00 et 19h30, un attroupement d’individus armés occupent la gare (règlement de compte ?), entraînant intervention de police et sortie d’astreinte Circulation (SNCF) avec ordre de limiter la vitesse des circulations au passage…
Si l’ensauvagement d’une frange de la population relève de la fiction pour certains, d’autres se prennent la réalité de la partition de notre société sans ménagement. Chacun en fera l’analyse qui lui conviendra, mais ces animalités primaires débordent un peu trop à mes yeux pour se voiler la face. Qui du bouc ou de l’Homme en ressortira grandi ?
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P.N. 34
Au fil de la ligne de La Possonnière à Niort (section Cholet – La Possonnière), des abords de la gare de Cholet, de la ligne de Clisson à Cholet, de son ancienne bifurcation vers la ligne de Vouvant Cezais à Saint-Christophe du Bois, et de la ligne de Tours à Saint-Nazaire (section Angers Saint-Laud – La Possonnière), puis des lignes de Dieppe à Fécamp (sections Dieppe – Saint-Pierre le Viger et Fontaine le Dun – Saint-Vaast Bosville), et de Motteville à Saint-Valery en Caux (section St-Vaast Bosville – St-Valery en Caux), septembre 2021
Premier été de vacances troublé par de nouvelles mesures sanitaires non sans incohérence et bien plus contraignantes que l’été précédent, s’adapter malgré tout et (re)partir en Anjou, en rive droite de la Maine.
Revisiter les alentours, à pied comme à vélo et en véhicule, accompagnant mon acolyte résident me servant par ailleurs de guide dans nos excursions ferroviaires locales, à commencer par la section de Cholet à La Possonnière. Revoir le viaduc de l’Alleud et ses 17 arches, ouvrage déjà approché ces dernières années lors de brèves virées estivales dans le secteur, (re)visiter ici et là ouvrages d’art maçonnés, divers aqueducs voûtés avec, curiosité pour moi, un passage aménagé pour piétons concernant l’un d’entre eux. Remarquer la variété des coupes et des tailles de roche employée à l’origine dans la construction de certains ouvrages et noter comme les vieux garde-corps encore présents semblent gracieux au-dessus de nous. Revoir le viaduc métallique du Louet avec son tablier à poutres treillis et ses 04 travées, le pont rail maçonné du Layon et ses 03 arches, y découvrir à côté les vestiges des deux culées du pont rail métallique disparu de l’ancienne ligne à voie métrique de Beaupréau à Saint-Jean de Linières (Compagnie du Chemin de fer d’intérêt local de l’Anjou). Rouler encore et traverser le passage à niveau n°1 de la ligne à voie unique et se prendre une bonne pluie passagère.
Plus tard, casser la croûte aux abords du P.N. n°12 de la même section de ligne et identifier quelques trous creusés par des blaireaux dans le remblai de la voie, à l’origine de galeries non sans conséquence pour la stabilité de la plate-forme (les blaireaux finissent soit extraits par des répulsifs, soit de force, soit enfermés vivants après coulure de béton).
A Cholet, saisir l’opportunité qui m’est donnée d’approcher le poste 1, poste mécanique unifié type 1945 dit MU 45, mis en service en 1967 et modernisé en 1985 par la mise en place de la commande à distance par dispositif « Faiveley » (télécommande motorisée des leviers d’aiguillage depuis le poste de gare). Remarquer comme l’extérieur du poste, bien qu’à un emplacement rêvé pour qui aime travailler en hauteur et isolé, se dégrade salement (ravalement défraîchi, graffitis, toilettes ouvertes et dégradées). La cabine d’aiguillage dont les vitres sont ceinturées par une grille, elle, semble maintenue en état, l’imposant dispositif d’aiguillage (moteurs, leviers et table d’enclenchements) trônant au milieu de la pièce que je suppose parquetée, une chaise en bois logée dans un angle, le bureau de l’aiguilleur sur lequel repose une vieille platine téléphonique devant une armoire entrouverte laissant apparaître quelques dossiers, probablement des référentiels et autres règlements relatifs à l’exploitation ferroviaire.
Remonter par la route la ligne vers Clisson et suivre mon guide, devenu fin connaisseur en ces lieux d’ouvrages d’art ferroviaires facilement cachés une fois l’été venu, végétation oblige. Quelque part après Saint-Christophe du Bois, à hauteur de La Pommeraie, le long de la plate-forme en remblai, à peine décelable sans être à proximité immédiate et à condition d’avoir l’œil, apercevoir derrière arbustes et branchages une ouverture dans ce qui se révèle être un double remblai : un pour l’ancienne ligne de Vouvant-Cezais à Saint-Christophe-du-Bois, l’autre pour la ligne de Clisson à Cholet, exploitée. Se frayer un chemin mais mal s’équiper sur le moment et se blesser à la main plus loin. Découvrir un double ouvrage à taille humaine, sorte de double galerie voûtée, entièrement maçonnée et en bon état, curiosité d’architecture permettant la pénétration du jour par un puits de lumière central, rendant par ailleurs plus engageante la traversée. Arpenter à travers branchages et feuillages fournis. Observer quelques dizaines de mètres plus loin en remontant vers l’ancienne bifurcation le double tablier d’un pont rail où seul celui de la section de ligne encore circulée de Clisson à Cholet a été remplacé en septembre 2018 ; s’il est flambant neuf, son aspect aseptisé, blanc et lisse n’égale pas le charme incomparable du métal riveté de son voisin.
Localiser approximativement lors d’une virée à vélo le long de la Loire l’emplacement de l’ancienne gare de Béhuard les Forges ou d’une dépendance (halle à marchandises…), voisine de la halte de Savennières Béhuard, sur la section de ligne d’Angers à La Possonnière. La végétation a tellement gagné l’endroit que seul un semblant de bordure de quai en permet l’identification, compte tenu de sa proximité de la voie (confirmé par des recherches ultérieures via les vues aériennes d’IGN en remontant le temps).
Plus tard en Seine Maritime, après avoir loué un vélo au milieu d’un bois reculé (site d’accrobranche) et longé de petites routes désertes le long desquelles seuls quelques troupeaux de vaches prêtent attention par moments, gagner l’ancienne gare de Saint-Pierre le Viger – Fontaine le Dun.
Avant de s’élancer plus loin, faire le tour du bâtiment devenu mairie, regarder à travers une porte-fenêtre et suivre des yeux l’arrondi de la main courante accompagnant l’escalier de bois menant à l’étage ; tout ici est dans son jus et visiblement très convenablement entretenu. Apercevoir un homme se garer et se diriger vers la bâtisse, le saluer ; en retour, j’ai le droit à un « Salut ! » comme si nous nous connaissions. S’imprégner encore un peu des lieux alors que le soleil continue de se lever (la journée s’annonce très lumineuse). S’élancer alors avec mon accompagnatrice complice, elle aussi à vélo, sur la véloroute du Lin, voie verte à l’enrobé impeccable appliqué sur une déjà non négligeable section de l’ancienne ligne de Dieppe à Fécamp. Noter avec amusement comme le numéro des intersections, passages à niveau à faible fréquentation pour la plupart, reprend les codes graphiques de la signalisation SNCF pour certaines indications (chiffres et lettres en blanc sur fond noir). Remarquer dès le début du parcours le nombre d’ouvrages d’art que nous franchissons. Filer à travers champs en suivant toujours le tracé.
Arriver à Luneray et se ravitailler en victuailles pour le déjeuner. Face à l’ancienne gare, remarquer une armoire ou boîte électrique laissée sur place malgré la dépose de la voie et séparée de l’ancienne plate-forme par la clôture grillagée de l’entreprise voisine qui l’intègre curieusement dans son enceinte. Noter la présence (vaillante ?) d’une ampoule probablement hors d’âge restée accrochée à la douille d’une vieille lampe en crosse courbe fixée en haut d’un mât implanté à quai. Repartir sur la voie verte et arriver au passage à niveau n°16 où je me permets d’interpeler l’occupante que je vois sortir de sa maisonnette. Echange initialement suggéré par simple curiosité, la dame, retraitée, se lance dans un long développement et nous apprend qu’elle est arrivée au P.N. 16 il y a de longues années, du temps de son mari, qu’elle y a été garde-barrière, se souvenant d’une série d’événements remarquables (déraillements, conditions climatiques difficiles, brouillard, problématiques d’annonce des circulations et manque d’entrain de certains cheminots de la brigade de secteur). Sa mémoire nous livre quelques petites pépites et ses anecdotes confèrent à cet échange d’une bonne grosse demi-heure au moins un certain caractère d’une France rurale à laquelle je ne peux décidément pas être insensible, pour ne pas dire qu’elle me renvoie chaque fois un peu plus à mes origines. Reprendre le guidon. Passer l’ancienne gare de Gueures Brachy, dont les emprises conservent encore une armoire électrique inutilisée, puis atteindre l’ancienne gare d’Ouville la Rivière et sa halle à marchandises voisine en bien piètre état. Plus loin, apercevoir un wagon de bétail stationné sur des rails au pied de l’ancienne gare d’Offranville, magnifique petit bâtiment voyageurs peint d’un rose saumoné ; l’endroit est parfaitement entretenu. Arriver à Petit Appeville (Hautot sur Mer) et y déceler le remblai de la section de ligne déposée rejoignant la plate-forme commune avec la ligne de Malaunay le Houlme à Dieppe. Ne parvenant pas à identifier l’emplacement de l’ancienne gare, interpeler un riverain et obtenir une réponse immédiate : l’ancienne gare est dans notre dos, d’autant que nous sommes rue de la Gare ! Gagner le littoral jusqu’à Pourville sur Mer en quittant définitivement tout tracé historiquement ferroviaire et se faire une pause appréciable sur les galets, boisson fraîche en poche.
Au retour, descendant la voie verte jusqu’à l’origine du parcours, s’arrêter impérativement pour photographier une pancarte S aperçue à l’aller ainsi qu’un repère kilométrique (point kilométrique 21), deux vestiges intacts évoquant l’exploitation ferroviaire passée et révolue.
Le lendemain, en virée à Saint-Valery en Caux, trouver l’ancienne gare terminus à l’esthétique douteuse, non sans rappeler la gare d’après-guerre de Maintenon (Eure et Loir), cette dernière mieux réussie. Faire le tour et gagner les anciennes emprises : s’imaginer la plate-forme et les voies du temps de son exploitation. Reprendre la route et chercher, un à un en remontant la ligne, tous les anciens arrêts visitables jusqu’à Saint-Vaast Bosville, section désormais exploitée en voie unique à trafic restreint, dédiée au trafic de déchets nucléaires provenant de la centrale de Paluel via l’embranchement de Saint-Valery en Caux EDF (EP), à 2,400 km à peine de l’ancienne gare de St-Valery. Atteindre le passage à niveau n°26, correspondant à l’ancien arrêt de Néville ; un vieux panneau formalise l’interdiction d’entrer ou de sortir par le passage à niveau selon le code graphique d’usage (en rouge sur fond blanc), un autre indique l’accès à l’unique quai attenant à la maisonnette de briques. Dans le prolongement supérieur du mât auquel il est fixé, une vieille lampe inclinée par une rotule rouillée semble fixer une zone réduite du quai recouvert d’herbe sans pouvoir lui rendre l’éclat passé. Les éclairages à l’ancienne ont décidément pour moi ce quelque chose d’intriguant et de mélancolique dans les emprises délaissées du chemin de fer. Faire quelques pas en s’avançant sans trop s’attendre à grand chose mais repérer avec surprise en hauteur dans le feuillage pourtant bien fourni l’angle inférieur du panneau de l’arrêt, Néville écrit en lettres bleues sur fond blanc ! Mieux encore, à peine plus loin derrière mais parfaitement invisible depuis le passage à niveau amont, un abri abandonné. L’édicule, au sol carrelé, dispose d’une entrée centrale ouverte séparant deux baies vitrées à carreaux, tous brisés, avec à l’intérieur les restes d’un banc de bois faisant l’angle. La quasi intégralité de l’ensemble est tagué, mais certaines couleurs ressortent et confèrent une certaine esthétique graphique à l’endroit. Finir par quitter les lieux en repassant devant une plaque commémorative de la seconde guerre mondiale (mitraillage d’un train le 17 octobre 1942), fixée sur un mur de la maisonnette. Dans le secteur, le conflit a décidément laissé nombre d’empreintes.
Reprendre la route en se repérant avec les moyens du bord et atteindre le passage à niveau n°24, correspondant à l’ancien arrêt d’Ocqueville ; le quai est ici envahi par la végétation, impraticable, mais la maisonnette est en vente. Gagner les emprises de la gare de Saint-Vaast Bosville, site idéal pour casser la croûte en extérieur face aux fleurs qui ornent en le ceinturant une partie non négligeable du bâtiment voyageurs dont j’apprends sans tarder que le rez-de-chaussée est inaccessible aux occupants actuels car réservé à des cheminots (locaux Equipement) ! Assis sur un restant de quai de l’autre côté de la voie directe, sentir la chaude et vive lumière du soleil accompagner ce temps de repas avant d’échanger plus amplement avec le couple occupant les lieux. Apprendre que la femme occupa un temps le poste de chef de gare. Voir venir son homme nous tendre quelques photos tirées des lieux du temps d’une exploitation plus soutenue.
Un temps plus tard, se faire surprendre par la résonance lointaine du sifflet d’un train circulant en direction de l’embranchement EDF. Regarder passer la locomotive remorquant un unique wagon. Errer dans les emprises, localiser l’ancienne bifurcation vers Fécamp, aiguille déposée depuis mais rails toujours en place (double champignon), imaginer l’ancienne halle à marchandises, les voies de service dont certaines traverses restent visibles, comme retenues captives par un sol ne voulant se défaire complètement d’un usage (dé)passé. Remarquer ici des rails coupés nets, là l’ancien point d’aiguillage et ses transmissions funiculaires condamnées, face aux monumentaux silos agricoles, là-bas l’ancien hôtel de la gare…
Repartir de plus belle en remontant en la suivant tant bien que mal par la route la section de ligne neutralisée de Saint-Pierre le Viger à St-Vaast Bosville, tournant et virant avec détermination à la recherche de l’emplacement de l’ancienne gare d’Héberville, se faisant aider par quelques rares riverains croisés sur le chemin. Se référer aussi régulièrement que possible aux plan et schéma de ligne emportés avec moi et chercher ardemment le passage à niveau n°34, objet de toute notre attention, ayant identifié sa proximité immédiate du kilomètre 33, point repère de l’ancienne gare. Parvenir enfin à trouver le P.N. et confirmer son numéro après écartement de broussailles gênant la lecture de l’écriteau d’un moteur de barrière. Sentir l’excitation de l’exploration monter à ce moment précis. La voir redescendre bien vite en portant le regard sur les lieux : comme annoncé par les riverains nous ayant renseignés, il n’y a plus aucune trace de la gare ; pour autant, nous parvenons à en localiser les emprises, espace noyé sous la végétation s’étant particulièrement étendue dans la zone.
Bien qu’écourtées et un peu différentes de mes habitudes, ces virées estivales auront malgré tout réussi cette année à me procurer ce doux parfum caractéristique, cette ivresse légère d’escapade exploratoire en campagne, remontant toujours le temps, comme si s’y plonger ouvrait une porte en coulisse pour mieux circuler sur une voie parallèle, paradoxe au vu de l’état des infrastructures réelles approchées.
Le spectacle vivant d’antan a là aussi laissé place à un spectacle de désolation, à l’abandon. Mais point ici de religion ou de rituel auquel se raccrocher bêtement, point de repli identitaire ou de revendication victimaire insupportable pour pallier les maux de notre société en mal de repères. Ici, les seuls repères qui comptent sont kilométriques et suffisent à guider l’Homme sur sa voie.
Même brève, l’immersion ferroviaire ne peut laisser indifférent. Comme si s’engager chaque année dans ces emprises délaissées activait une connexion toujours plus sensible avec l’inexplicable. Mais tout cela a-t-il un sens, puisque tout s’effrite et qu’ils s’en foutent ? Si nous avons tout et que plus rien ne semble plus avoir la moindre importance, tout cela a-t-il vraiment du sens ? Et pour combien de temps encore ?
Transport – divers
Savac ou pas
Gare des Essarts le Roi (abords), mardi 31 août 2021
Débarquant en fin d’après-midi suite à la mésaventure précédente, je me dirige vers les deux arrêts de bus à droite en sortant de la gare côté ville, bien que sachant pertinemment avoir raté ma « correspondance » bus et me préparant à marcher une trentaine de minutes. Aucune fiche horaire de la ligne 39 27 n’est affichée. De plus, l’un des Plexiglass de protection est dégradé, brûlé en plusieurs points, altérant la lisibilité des quelques informations disponibles (fiches horaires d’autres lignes). Il va sans dire que l’entretien laisse à désirer, et que la malveillance a progressé.
M’avançant dans Les Essarts puis dans Lévis Saint-Nom, si les horaires sont affichés à tous les poteaux d’arrêt croisés sur mon chemin, aucune période de circulation n’y est reprise. Doutant de la pérennisation de la ligne cette année, et voulant en avoir le coeur net, je me rends dès mon arrivée sur le site internet de la Savac (Savac Transports, l’exploitant de la ligne) et les seules fiches horaires en ligne ne sont pas à jour (« Horaires valables du 31 août 2020 au 30 juillet 2021 »). Parvenant non sans quelque difficulté à joindre par téléphone l’entreprise, mon interlocutrice au ton manifestement méprisant me fait savoir que les horaires sont identiques à ceux de l’année écoulée. Je suis bien heureux de l’apprendre mais il serait fort bienvenu d’actualiser les fiches horaires, sur le terrain comme en ligne. L’échange avec la préposée aux renseignements est froid, et je me trouve malgré tout encore un peu trop gentil. La dame me prend de haut depuis le début de la conversation, m’interrompant au simple signalement de défaut de mise à jour des fiches horaires et refusant manifestement de considérer les motivations de mon appel. Elle m’invite à contacter la mairie des Essarts le Roi. Voilà qui n’est pas sans rappeler une situation similaire avec mes signalements de l’automne 2020 pour la commune voisine de Lévis.
Quelque peu remonté, je m’exécuterai dans la foulée en contactant la mairie des Essarts, qui me répondra très cordialement quelques jours plus tard, me précisant avoir contacté le transporteur, la Savac ayant « bien pris en compte les diverses remarques » et allant « faire le nécessaire pour y remédier au plus vite ». Dans notre société en mal de considération à tous les niveaux, cette réponse de la mairie me sera salutaire, et sans comprendre les raisons d’un service clients aussi déplorable à la Savac, je remercierai la mairie des Essarts pour leur retour et saurai rester attentif à l’évolution de la situation avec ce transporteur.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
« Retardé »
Gare de La Verrière, mardi 31 août 2021
Arrivé en fin d’après-midi à quai voie 1, un train à destination de Rambouillet sans horaire y est affiché « retardé », sans pouvoir identifier à quel train il fait initialement référence. Le seul train suivant repris est le RIPI de 17h23. Dans l’attente, et agacé que je suis de cet affichage douteux, je me résous à sortir de la gare pour aller voir si un bus assurant la liaison routière (Transdev) parallèle de Saint-Quentin en Yvelines à Rambouillet ne circulerait pas, par bonheur, dans l’intervalle.
Les emprises de la gare étant toujours en travaux (gros chantier de « mise en accessibilité » depuis de longs mois), je dois faire le tour pour gagner enfin le bâtiment voyageurs et, en face, l’arrêt de bus convoité. Je pars d’abord me procurer un carnet de tickets T+ à l’automate, l’unique guichet ouvert étant trop occupé par l’affluence. Malheureusement pour moi, l’horaire de passage du prochain bus m’intéressant correspond à peu près à l’horaire de passage du train de 17h23. Résigné, je retraverse la chaussée et stationne un temps face aux écrans d’affichage de la gare dont je redoute de plus en plus un dysfonctionnement trompeur. Et dans le doute, je décide de garder ma position, de façon à basculer sur l’un ou l’autre mode de transport selon la fluidité du trafic. Tout à coup, l’arrivée d’une rame aux berlingots de couleur me rappelant sans ambiguïté le matériel roulant de la liaison de Paris Montparnasse à Rambouillet entre en gare et, glissant voie 1, ne tarde pas à déverser son flot d’usagers de fin de journée. A cet instant, je réalise m’être fait duper par l’information voyageurs : malgré les informations portées aux écrans, le RIPI de 17h08 circule, et parfaitement à sa place devant le 17h23, pourtant seul prochain train affiché pour Rambouillet ! Etant dans l’impossibilité de regagner le quai de la voie 1 dans un tel environnement en si peu de temps (zone de travaux, déviation piétonne et flux de voyageurs), je manque le 17h08 et me reporte donc amèrement sur le 17h23, seul train toujours affiché dans ce sens. Le train « retardé » du début, lui, est toujours affiché…
A défaut de retrouver les tableaux d’affichage électromécanique à palettes (un temps encore pas si lointain), il serait fort souhaitable que, depuis toutes ces années, le nombre de dysfonctionnements diminue, afin de limiter les désagréments des voyageurs et, pour reprendre la formule consacrée, d’en améliorer « l’expérience client ».
Cette petite mésaventure, bien que sans gravité mais occasionnant une perte de temps disproportionnée en heure de pointe, fera l’objet d’un signalement sous la forme d’une « réclamation » auprès de SNCF Transilien. Considérera-t-on ma remontée ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Senonches sur les rails
Au fil de TER de l’axe Paris Montparnasse – Le Mans et de la section de ligne neutralisée de La Loupe à Senonches, vendredi 20 août 2021
J’emprunte en milieu de matinée un train de banlieue me rendant des Essarts le Roi à Rambouillet pour une correspondance jouable avec un TER pour La Loupe, commune d’Eure et Loir très brièvement visitée à deux reprises en 2006 et 2007 à l’occasion de stages, et ce jour convoitée pour sa section de ligne de 10,300 km la reliant à l’ancienne gare de Senonches, plus au nord. L’intérêt est triple : s’en aller en train vers l’ouest comme pour partir en vacances (mon impression en descendant à La Loupe après avoir roulé à travers champs), remettre les pieds dans cette gare remarquée à l’époque pour la beauté de son poste d’aiguillage de gare qu’il m’avait été possible d’approcher, et repartir en excursion exploratoire sur une section de ligne neutralisée, d’autant plus en entraînant un jeune collègue curieux et motivé pour me suivre dans cette sortie, virée en tête depuis plusieurs années.
Lors de mon temps de correspondance à Rambouillet (10 minutes), m’étant renseigné la veille sur le type de matériel roulant prévu d’assurer mon TER sans pour autant avoir mes repères à quai dans cette gare que je fréquente assez peu, un homme que j’identifie immédiatement conducteur et aperçu en train de descendre le quai dans sa longueur me sert alors de guide : connaisseur qu’il doit être, la queue de train ne devrait pas arriver bien loin de lui. Dans les secondes qui suivent ce placement confiant et mesuré, je l’entends converser à voix haute avec le conducteur en instance de départ d’une banlieue sur le quai d’en face. Celui-ci lui fait part de sa lassitude accumulée ces derniers temps sans que je comprenne clairement l’intégralité de l’échange.
Ma Regio 2N pointe le bout de son nez et je m’installe à bord d’une rame d’apparence neuve, trouvant une place sans difficulté vu la faible affluence. La dame lourdement endormie sur le carré de sièges voisin ne peut être attentive au paysage qui bientôt défile devant moi. Sur une partie non négligeable du parcours, je remarque sur ma droite dans le sens de la marche une série de perrés, détails d’aménagement accrochant décidément bien plus mon regard aujourd’hui ; la main de l’homme est passée par là il y a longtemps et les revêtements en pierres sèches semblent toujours assurer leur rôle. Plus loin, j’aperçois furtivement trois employés en train de débroussailler les abords de la voie 2 sans annonceur visible ni clôture de délimitation. Je ne peux m’empêcher de m’interroger une fois encore quant à l’encadrement d’équipes employées par certains prestataires privés avec lesquels traite SNCF Réseau (annonce, plan de prévention, etc.) ; et les chantiers ne manquent pas…
C’est à Chartres que monte mon collègue compagnon. Nous alimentons ensemble la conversation tout en gardant un oeil sur les paysages, étendues agricoles en nombre, et guettant l’éclaircie encore timide. Lors de l’arrêt à Courville sur Eure, je remarque sur le quai de la voie paire un jeune homme en survêtement et chaussures de sport, assis les jambes écartées, l’air tendu. La dimension agricole des imposants silos en arrière-plan contraste assez fortement avec l’image renvoyée immédiatement par le garçon captif, lui aussi, et même là, de marqueurs identitaires qui décidément me rebutent. Heureusement, quelques instants plus tard à peine, deux cyclotouristes aperçus à quai, venant visiblement de descendre, se rééquipent pour repartir. Ils me redonnent le sourire.
A La Loupe où nous descendons, la lumière du soleil nous accueille mais c’est dans l’ombre de la marquise du bâtiment voyageurs que nous progressons d’abord. Quelques mètres après la porte d’accès de l’unique guichet, une double porte à carreaux dont les plus bas, opacifiés, voilent la vue du curieux, marque l’entrée du poste de gare. Ma taille me permet cependant de glisser les yeux par-dessus et d’entraîner le regard à l’intérieur de la pièce qui semble ne pas avoir changé depuis la dizaine d’années écoulées. Malgré des murs peints d’une couleur verdâtre d’un goût toujours aussi franchement discutable et visible en de trop nombreux locaux SNCF du réseau, le poste en lui-même est toujours aussi remarquable. Mis en service en 1937 puis modernisé en 1953, ce poste d’aiguillage électrique à leviers individuels « régional ou constructeur » type Trayvou (comprendre non unifié SNCF) brille par sa beauté et une certaine classe, rétro oblige, esthétique technologique qu’il m’a été assez rare de rencontrer jusque-là à travers ma petite expérience et mes diverses escapades. Ses 40 leviers, majoritairement peints d’un joli vert foncé et fixés sur un bâti supportant une table d’enclenchements verticale masquée par des panneaux de même couleur, sont prolongés en partie supérieure par des verrous électriques que des capots du même vert mat recouvrent, tous surmontés par deux boutons poussoir en laiton brillant conférant à l’ensemble une esthétique digne d’une très belle mécanique, qui plus est toujours en service. Dommage que le poste soit ici devenu temporaire (comprendre ouvert au service de la circulation (très) irrégulièrement), sort désormais tristement réservé à nombre de postes du réseau, transformation des métiers, diminution de la charge de travail et amaigrissement de la masse salariale oblige. Là aussi, l’emprise de l’infrastructure et des installations témoignent d’un temps passé où La Loupe était une gare active, à la croisée de trois lignes : traversée par la grande Paris – Brest, à l’origine de la ligne jusqu’à Prey (Eure) au nord, et au terminus de celle la reliant à Brou (Eure et Loir) au sud. Des trois, seule la première est toujours en service de bout en bout, et c’est par un passage dénivelé que nous franchissons sous un pont-rail dont le tablier métallique riveté date de 1911 ladite double voie pour rejoindre la bifurcation vers Senonches, prenant son origine après le vieux poste 1, toujours référencé bien qu’à peine décelable depuis la rue.
C’est par un point d’accès vaguement discret que la pénétration dans les emprises semble le plus approprié. Si les premières dizaines de mètres sont librement accessibles malgré quelques pousses végétales plus ou moins éparses, plus loin la végétation a gagné du terrain et pris une ampleur telle que l’exploration devient très vite, et sans illusion, inintéressante, ralentissant considérablement la progression (non sans conséquence sur l’estimation du temps de retour), quand elle n’est pas rendue impossible par endroits. La fuite d’un lapin bondissant devant nous et les vestiges d’un signal mécanique nous occupent quelques minutes, mais la perte de temps à cause de l’excès de végétation est si magistrale que j’invite mon compagnon de sortie à remonter le talus, une centaine de mètres à peine après la bifurcation. Nous voici enfin remontés, en bordure de champ. J’accuse déjà quelques égratignures et évoque ma déception à laquelle je m’étais un peu préparé. Je le sais pourtant bien, il faut se méfier des lignes qui ne sont plus circulées, d’autant plus quand il s’agit déjà de voies uniques à trafic restreint. S’intéresser au délai écoulé depuis le passage de la dernière circulation serait donc une sage précaution. Toujours assez défaillant sur ce point, ou naïvement optimiste, j’essuie donc un échec ce jour, avec à la clé un changement de plan forcé, mais pas moins dépaysant. Car de fil en aiguille, cherchant toujours à accompagner au plus près le tracé de la ligne jusqu’à Senonches, c’est le long de champs moissonnés que nous progressons, avec de temps à autre un petit écart, fonction notamment des clôtures et autres délimitations nous déviant de notre trajectoire initiale. En contrebas au niveau de la voie, la petite forêt semble ne jamais s’éclaircir, et au vu du temps déjà écoulé, je commence à douter de l’objectif à atteindre (Senonches puis La Framboisière). Nous franchissons dans une illégalité relative un passage privé interdit au public pour retrouver la voie envahie par la végétation et découvrir finalement un aqueduc retenant mon attention quelques minutes. L’ouvrage semble en très bon état. Plus loin, à nouveau en bordure de champs, l’irruption d’un épouvantail de fortune nous surprend derrière un arbre que nous dépassons en souriant. Après le passage délicat du barbelé de clôture pour rejoindre la route, la traversée de Launay nous donne à voir de jolies petites maisons dans un cadre des plus bucoliques. Bientôt la gare de Fontaine Simon et ses lieux d’aisance au charme incomparable apparaissent devant nous. Plus loin, je tente d’escalader jusqu’au pont-rail remarquable à l’entrée de la commune. De là-haut, l’alignement de l’axe routier, l’herbe tondue et la propreté impeccable des lieux ont comme un air d’Alsace…
Une fois redescendu et dans la continuité du parcours, toujours au plus près du remblai de la voie, de magnifiques ouvrages d’art alliant pierres maçonnées, pierres de taille et briques de voûte soutenant la plate-forme et d’une taille remarquable pour une ligne en voie unique ponctuent notre itinéraire, pour bifurquer bientôt vers le parc aquatique du Perche où le terrain en pente donnant sur le plan d’eau nous donne une occasion parfaite pour pique-niquer. Quelques jeunes gens s’essaient au téléski nautique et une partie finit dans l’eau. Me rinçant les mains en bordure du plan d’eau avant d’amorcer le retour, j’aperçois justement une fille nager en regagnant la terre et lui demande si ça va ; elle me salue en me tutoyant comme si nous nous connaissions. L’esprit ici semble bon.
Sur le retour, toujours à pied, le soleil et la chaleur s’intensifient sans nous freiner. A bord du TER de 16h27 au départ de La Loupe et en direction de Paris Montparnasse, assis dans un carré dans le sens contraire de la marche, j’ai en visuel sur ma droite un couple de jeunes gens collés l’un contre l’autre en train de visionner silencieusement ce que je suppose être un film sur le téléphone qu’ils partagent. Ils sont charmants, et le calme ambiant fait du bien. Après Chartres, un cycliste au sens pratique relatif cherche à hisser son vélo dans l’étroit couloir de jonction avec la voiture suivante. Quelques minutes plus tard, la contrôleuse, dont je découvre avec une agréable surprise la présence à bord de ce train, ne manque pas de lui faire la remarque tout en l’invitant à se déplacer dès le prochain arrêt jusqu’à l’extrémité opposée de la rame où se trouve le compartiment dédié aux vélos (notre homme s’exécutera bien à l’arrêt suivant).
Si, comme toujours depuis le début de la crise sanitaire, en Transilien comme en TER, j’aurai détecté quelques voyageurs au respect bien personnel du port du masque, cette virée partiellement ferroviaire me laissera bonne impression malgré l’échec exploratoire, avec déjà comme un embryon de projet d’y retourner avec le vélo (en respectant les compartiments dédiés), suivant par ailleurs les fruits du travail mené par l’association Senonches sur les Rails en faveur de la réouverture de la section.
Incivilités – malveillance – sûreté
Par destination
Gare des Essarts le Roi (abords), samedi 05 juin 2021
En repartant de la gare après avoir déposé un collègue aux sens affûtés et à qui ce qui suit ne peut que parler, j’aperçois deux jeunes gens en survêtement marchant nonchalamment depuis la gare vers le centre-ville, l’un deux agitant une béquille dans les mains. M’avançant en véhicule dans leur sens, je les suis du coin de l’oeil avant de les dépasser. L’individu muni de la béquille semble très bien marcher, mais le recours à ce type d’accessoire est bien connu, chez certains. Plus discrète qu’une arme de poing et surtout bien plus autorisée et légale, la béquille se révèle être une arme par destination de facture admissible pour en découdre avec ses ennemis retrouvés ou ses rivaux préférés à un point de rendez-vous préalablement fixé.
Les rapports de confrontation semblent animer certains d’une force inversement proportionnelle à leur niveau culturel et éducatif. Dans mes moments les plus sombres, je n’y vois aucun espoir. Dans mes moments les plus éclaircis, je me contente de poser la question d’une hypothétique solution à ces maux auxquels nous semblons, tous plus ou moins, et dans des proportions très variables, nous habituer malheureusement ; certains dramatisant, d’autres minimisant, d’autres encore s’organisant…mais pour quelle vision d’avenir ?
Incivilités – malveillance – sûreté
Impossible harmonie
Gare routière de La Verrière (abords), mercredi 26 mai 2021
Depuis l’extrémité de la gare routière d’où j’arrive peu avant 22h00, je perçois des sons avant d’en identifier les mouvements qui les accompagnent : devant les arrêts de bus juste en face de la gare SNCF, un homme quelque peu en chair gesticule en aboyant sur un autre, ce dernier semblant patienter sagement assis sur le trottoir avec un bagage. L’instant d’après je le vois redressé, téléphone en main comme pour filmer l’énergumène. Je comprends vite le malaise, et voyant l’individu bedonnant lever les poings comme pour en découdre avec sa victime tout en vociférant dans une harmonie douteuse, je marque un très bref arrêt au premier abri de bus rencontré, ma pensée immédiate allant vers les lunettes que je porte et au risque de casse en cas d’échange de coups. Ceux qui me connaissent bien savent comme je suis sensible et exigeant en ajustements et réglages de monture. Voilà qui ferait sourire mes deux opticiennes. Mais la situation dans l’instant ne prête pas à rire. M’apprêtant donc à limiter les dégâts en cas de dérapage, je me palpe, sens bien la présence de mon étui dans une poche de ma veste, hésite un instant, me ravise finalement et garde mes verres sur le nez, croisant les doigts. Je m’avance tout en passant soigneusement les deux bretelles de mon sac à dos, les serre, sens mon sac se plaquer contre moi et, les bras libres, me prépare à l’altercation malheureuse, et redoutée. Le malaise grandit en moi à la vue du visage rouge de l’agresseur qui, bien qu’en restant aux éclats de voix, laisse exploser son agressivité en ne cessant de tournoyer sur lui-même. Aucun doute au passage que cet homme respecte le couvre-feu encore en place…
Je passe les derniers arrêts de bus où deux femmes patientent chacune de leur côté. Me voilà tout prêt. Trois « jeunes » venant de traverser la route pour accéder au bâtiment voyageurs comprennent à leur tour ce qui se trame et se retournent en alpaguant notre homme, qui virevolte en baragouinant. Simultanément, j’arrive à la hauteur de la victime, je lui demande si ça va et ce qui se passe. Il évoque une bagarre. Je lui demande s’il doit prendre un bus, pense comprendre que non, l’invite alors à s’en aller pour se mettre à l’écart, profitant de la présence des trois jeunes gens détournant l’attention de son agresseur. L’instant d’après, l’un d’entre-eux s’avance vers nous et interpelle à son tour le monsieur, dont je réalise qu’il ne parle peut-être qu’assez moyennement français, puis le reste du groupe arrive, semblant plus rompu que moi aux invectives et aux situations de frictions. Tout se passe très vite, et l’impression qu’ils me donnent est de gérer la situation en s’interposant…à leur façon. Ils sont trois, j’étais tout seul. Sentant ma mise à l’écart de la scène, je croise le regard d’un des « jeunes », nous nous faisons un geste de la tête presque complice et en un instant je comprends que la situation m’échappe complètement : ils s’en chargent. Allant initialement embaucher, je reprends ma marche, bien que perturbé par l’épisode, finalement plus appréhendé et approché qu’autre chose. Je n’aime décidément pas ce genre de situation et ne me sens toujours qu’assez moyennement courageux quand je me sens seul, bien qu’il me soit quand même déjà arrivé d’intervenir magnifiquement et avec fermeté dans quelques situations et sans échange de coups. N’en demeure pas moins que les abords de la gare de La Verrière ne sont décidément pas des mieux fréquentés, et je me suis toujours demandé comment réagir selon les cas. La vie a ceci de fragile et d’imprévisible qu’il suffit parfois de bien peu pour que tout ce qui est soit réduit à néant en un instant. Cette conscience des choses me glace bien plus aujourd’hui qu’auparavant, la (sur)médiatisation de faits divers n’arrangeant rien, mais le « sentiment » d’insécurité n’en étant pas que sentiment pour autant.
Ce soir, trois jeunes gens dont l’allure et l’apparence vestimentaire auraient spontanément suscité quelque raccourci de comptoir dans ma tête m’ont peut-être évité de me prendre un coup.
Le mauvais fluide électrique qui m’aura parcouru le corps au moment des faits, moi qui n’ai pas la « culture » de la bagarre, prendra de longues minutes pour se dissiper, et me replongeant plus tard dans d’autres actualités malheureuses de la période, je me redéfinirai gravement le drame de notre époque : où l’incapacité à accepter la moindre frustration et à gérer les conflits chez certains les conduit à la violence, où l’appauvrissement du langage et les fuites en avant ne font qu’accélérer leur perte…et celle des innocents qu’ils croisent ; « vivre ensemble », ou l’impossible harmonie de l’état de nervosité permanente de notre société.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
Train train
Autocar régional 57506 de 17h05 au départ de La Barre de Monts (Fromentine gare maritime), à destination de Nantes, TGV 8818 de 18h40 au départ de Nantes, à destination de Paris Montparnasse, gare de Paris Montparnasse et train ROPO de 21h35 au départ de Paris Montparnasse, à destination de Rambouillet, vendredi 12 mars 2021
A bord du car, l’entrée dans Nantes et son centre est, en ce début de soirée de fin de semaine, très freinée à cause du trafic et de la congestion des axes routiers malgré le couvre-feu en place. Le conducteur peste après un automobiliste et avance presqu’au pas. La situation prête à sourire et je m’en amuse silencieusement, ayant déjà été témoin de ce genre de réaction à bord d’autocars de ce type, certains chauffeurs se laissant aller plus ou moins discrètement à ces réactions, un peu comme s’ils conduisaient leur véhicule personnel.
Dans le TGV où je suis tranquillement installé sur un siège isolé, une fois n’est pas coutume, je reprends vite conscience de cette tendance qu’ont certains voyages à me rendre mélancolique et peu enclin à la joie. Comme si chaque kilomètre parcouru sur le retour inscrivait en moi les marques d’une séparation plus forte du lieu que je quittais et faisait résonner d’autres cordes sensibles. A l’approche d’Angers, le train freine d’urgence et s’arrête. Un instant plus tard, l’annonce réglementaire d’usage invite les passagers à rester calme et à ne pas tenter d’ouvrir les portes. Puis le TGV se remet en marche jusqu’à Angers (arrêt non prévu), le temps d’une probable remise d’ordre, présence de personnes dans les emprises oblige (le motif nous est bien communiqué), et nous repartons au pas avant de reprendre de la vitesse. Le retard de près de 30 minutes à l’arrivée à Montparnasse me fait rater ma « correspondance » avec ma banlieue. Dans l’attente à laquelle je ne peux échapper, errant dans le hall Pasteur déserté, un individu vient à ma rencontre sans parler, se contentant de gestes approximatifs, semblant désigner un article alimentaire (une barre sucrée) à un distributeur voisin. Le pensant dans le besoin d’une assistance pour sélectionner et payer le produit, je l’accompagne, mais face à la machine, je comprends qu’il lui manque la pièce pour compléter sa monnaie. Je décline, il s’en va, je reprends mon errance.
Je monte enfin dans mon train, m’apprêtant à me poser au niveau inférieur en deuxième voiture de queue, quand j’aperçois un individu d’un certain âge se redresser des fauteuils, pourtant durs, où il s’était allongé. Je le vois se lever et improviser une marche difficile et peu assurée en direction de la sortie. Probablement sans domicile fixe, sa tenue laisse à désirer, notamment ses chaussures. Nous sommes bien peu nombreux en salle basse. Deux jeunes gens à sacs à dos s’installent à l’extrémité de la voiture. Il n’ont pas l’air de rentrer de cours ni du travail, mais peu importe, vu comme le couvre-feu est respecté par endroits, je ne m’en offusque même plus. Les gars se tiennent bien par ailleurs. A Versailles Chantiers, monte une jeune femme au téléphone qui ne porte pas de masque. Assise à bonne distance de moi, je ne distingue qu’aléatoirement ce dont elle cause avec, manifestement, un garçon, ou du moins quelqu’un ne la laissant pas tout à fait indifférente. En plus du manquement à la règle du port du masque, je relève chez cette fille un air un peu trop dégagé à mon goût, presque provocant, un langage peu soigné et une conversation d’un haut niveau (« je t’aime bien » (…) « sur le Coran de la Mecque »). Elle descend à Trappes, toujours sans masque. A l’approche de La Verrière, une autre « jeune », pas plus masquée que la précédente, fait irruption dans la voiture qu’elle traverse dans un sens puis dans l’autre. Me préparant à descendre, je me lève et la suis du regard en la surveillant du coin de l’oeil. Elle passe en première voiture de queue et donne un coup de regard au niveau inférieur, comme à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose (à faire ?), gesticulations qui attirent mon attention. Le train train banlieusard m’accueille donc à nouveau en me souhaitant manifestement la bienvenue, contrastant forcément avec la Vendée des vacances.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
Démasqués
Train PORO de 09h09 au départ de La Verrière, à destination de Paris Montparnasse, TGV 8871 de 10h24 au départ de Paris Montparnasse, à destination de Nantes, et autocar régional 57503 de 14h40 au départ de Nantes, à destination de Noirmoutier en l’Ile, mardi 09 mars 2021
A l’arrivée à Versailles Chantiers, alors que le train amorce son freinage, mon regard alerte et baladeur croise brièvement en le remarquant celui d’une jeune femme à quai en attente. Malgré la contrainte (relative) des dispositions sanitaires encore d’usage actuellement, les regards mis étonnamment en avant par le port du masque se dévoilent toujours d’une étrange façon. Observation récurrente dans mon quotidien, j’ai aussi parfaitement conscience de son intérêt en terme de dissimulation, l’expression ne pouvant se résumer au seul regard.
A bord du TGV, la tranquillité du voyage est subitement altérée par la réaction excessive d’une passagère de ma voiture à qui des voyageurs s’adressent discrètement et sans animosité aucune après l’avoir vue se défaire du masque, ou le porter de façon inappropriée. Immédiatement, la tension se fait sentir, et la vive crispation de l’intéressée se « canalise » tant bien que mal par un retour verbal agacé mais s’exécutant malgré tout.
Dans le car, un homme semblant ne pas être tout seul dans sa tête garde le masque dans ses mains une bonne partie du trajet tout en gesticulant sur lui-même, passant d’un fauteuil aux toilettes, des toilettes à un autre siège, tandis qu’une passagère, tranquillement en train de lire, porte son masque de manière inappropriée, manifestement sans s’en soucier.
Certains n’ont manifestement toujours pas compris le mode de transmission du virus par aérosol, et surtout, certains comportements comme les réactions les plus enflammées renforcent évidemment ma croyance en un mieux vivre (ensemble ?) au sein d’espaces clos partagés par contrainte et obligation. Mais l’affirmation excessive d’une liberté individuelle ne renforce-t-elle pas la position (et la posture) de ceux qui se refusent à intégrer pleinement le collectif ? Tomber le masque et laisser voir les vrais visages…
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Néant
Lundi 04 janvier 2021
Conséquence d’un effet d’accumulation (nettement perceptible depuis l’automne), d’une énième réflexion sur le sujet, d’un fait s’imposant à moi, du témoignage direct d’une anecdote ou autre élément déclencheur, me vient en tête l’image du cheminot désenchanté, voire désincarné, avachi sur une branche pourtant encore accrochée à son tronc, un smartphone dans une main, une scie dans l’autre, coupant le plus tranquillement du monde cette même branche sans anticiper le risque de sa propre chute. Ou comment revisiter sous une forme symbolique la société de l’ennui d’aujourd’hui, où l’absence de motivation, le désengagement global et le manque de sens professionnel de certains (en trop grand nombre) gagnent du terrain, partout, tous secteurs confondus. Dois-je cette perception à une expérience parfaitement personnelle et très subjective depuis 2007 et aggravée ces derniers temps notamment dans le milieu ferroviaire que je fréquente, ou à une vue de l’esprit, ou encore à l’écho d’un monde bien réel et d’une société française où agressivité, colère, contestation, culture du conflit, « ego trip », ennui, incapacité à gérer toute frustration, surenchère et violence lui seraient finalement caractéristiques ? Et si, comme l’affirme un certain animateur radio de longue date, le français (« de base ») a besoin de montrer à l’autre qu’il ne se laissera pas faire, pourquoi la SNCF, une société à l’image de la société, serait-elle effectivement dépourvue de ce type de profil ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
« avoir envie d’aller au travail »
Gare de Coignières, dimanche 27 décembre 2020
Après n’avoir parcouru que 04 petits kilomètres à vélo depuis la gare de La Verrière, le vent tempétueux et la pluie cinglante sur le visage ont raison de moi en cet après-midi perturbé par la tempête « Bella » annoncée plus tôt. Après une brève pause au pied d’une façade de magasin pour me rééquiper au mieux, la proximité de la gare de Coignières me fait comme l’effet de la lumière d’une chaumière aperçue au loin dans la nuit. Préférant m’éviter un parcours plus difficile encore plus loin, je me résous à prendre le chemin de la gare pour récupérer le train de 14h27 à destination de Rambouillet. Mais c’est sans penser à un détail pourtant non négligeable : si l’accessibilité a été pensée pour le quai de la voie 2, il n’en est rien pour le sens impair, où seul un escalier bien raide et non abrité permet de gagner le quai dans mon sens. Le monter vélo à l’épaule et apprécier. Je m’abrite sans tarder sous l’édicule métallique à trouées ne freinant le vent qu’avec une efficacité partielle. Je suis tout seul. Une dame munie d’un parapluie arrive à mon niveau un instant plus tard pour s’abriter aussi et, d’un naturel franc et spontané, a cette phrase : « Faut vraiment avoir envie d’aller au travail, aujourd’hui ! ». Derrière cette exclamation anodine au demeurant, il m’est cependant assez difficile d’y déceler de l’humour ou une forme de colère.
Ayant désormais parfaitement conscience de l’équilibre fragile de certaines interactions sociales, je ne m’étendrai pas dans l’échange avec elle, mais je partagerai sa perception du jour qui me parle, rentrant pour ma part du travail après mon service matinal, où la question du goût du travail et de la mobilité semblent étrangement fusionner ce jour.
Incivilités – malveillance – sûreté
Impromptu parasite
Gare de La Verrière, mardi 10 novembre 2020
Gagnant le quai de la voie 1 où est attendu mon train de 06h07 (retardé) à destination de Rambouillet, le calme ambiant à cette heure matinale me laisse le délicieux loisir de capter les doux éclats de voix d’un individu vociférant depuis la petite gare routière, face à moi. L’homme est manifestement au téléphone et son interlocuteur en prend pour son grade. Je l’entends mentionner Saint-Quentin en Yvelines, parler d’une salle de sport et ordonner de venir le chercher. Le ton est agressif, l’individu agité. Une nouvelle fois, comment une telle tension peut animer quelqu’un d’à peu près « normalement constitué » si tôt ?
Parallèlement à cette déplaisante séquence sonore, l’absence de bruit par ailleurs, l’humidité matinale, le sol brillant et la couleur de l’éclairage public illuminent d’une jolie lueur nocturne la zone, contrastant franchement avec cet impromptu parasite n’obéissant à aucune règle : ni musique, ni poésie, ni savoir-vivre. Et si le fait d’« être dans son rôle dès le matin » était devenu une règle de vie, chez certains ? De quoi promettre des lendemains chantants. Ces comportements en disent décidément long sur l’ambiance générale dans la société et sur cet illusoire « vivre ensemble » pourtant parfaitement prêché à dessein par certains porte-voix.
Plus tard, jeudi 12 novembre, la mauvaise rencontre d’une copine proche avec un individu édenté et au respect douteux du port du masque dans un train de pointe matinale pris aux Essarts le Roi (l’homme l’abordera par de curieuses questions en se persuadant de son orientation sexuelle) se fera l’écho d’une autre mauvaise rencontre, bien que sans échange verbal, entre une amie et deux individus en alerte et à l’attitude malfaisante, installant un évident malaise dans une rame de métro parisien de soirée dans le courant de l’été précédent, écho renforcé par l’épisode de tension survenu courant janvier 2021, en pleine pointe d’après-midi de semaine en gare de La Verrière, avec un individu menaçant son ancienne compagne, que la gestion (au mieux) par la commerciale de service alors sur le terrain permettra d’atténuer quelque peu (sur le moment).
De ces espaces en commun normalement partagés dans les transports collectifs s’étendra l’ombre néfaste des fractures multifactorielles et des fragilités humaines incarnées par un effritement pleinement à l’oeuvre. Quid d’un commun qui nous rassemblera (encore) pour faire société (demain) ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
« Les humains, ils ont abandonné le lieu »
Au fil des lignes routière 24 (Port-Navalo – Arzon – Sarzeau – Vannes) du réseau Kicéo et ferroviaire de Moret Veneux les Sablons à Lyon Perrache (section Montargis – Neuvy sur Loire), de la « relation n°83 » (Clermont Ferrand – Le Mont Dore – Mauriac – Ussel) du réseau TER Auvergne Rhône Alpes (autocars), des lignes ferroviaires d’Eygurande Merlines à Clermont Ferrand (section La Cellette – Laqueuille), de Laqueuille au Mont-Dore (section La Bourboule – Le Mont Dore), de Bourges à Miécaze (section Eygurande Merlines – Bort les Orgues), de la ligne R13 (Montluçon – Aubusson – Felletin – Ussel) de Faure Autocars, de la ligne ferroviaire de Busseau sur Creuse à Ussel (section Busseau –Felletin), et autres itinérances diverses, août – septembre 2020
S’en retourner à l’ouest fin août pour la deuxième fois cet été (premier trajet similaire début juillet) en direction de la presqu’île de Rhuys. A la gare routière de Vannes, apprécier à nouveau la politique tarifaire particulièrement incitative en matière de transport par autocar (à peine 01,50 € pour 29 km) sans occulter pour autant la relative inadaptation des temps de correspondance et des creux horaires de l’offre, notamment en horaires décalés et le week end. Trouver regrettable qu’une telle politique tarifaire incitative ne le soit autant en terme de fréquence et de concordance avec les arrivées et départs des trains. Projeter un courrier au transporteur leur suggérant d’étudier au mieux à l’avenir le plan de transport de la ligne 24 ; message transmis quelques semaines plus tard après mon retour, remonté jusqu’à Golfe du Morbihan Vannes Agglomération, l’autorité organisatrice en relation contractuelle avec le transporteur, qui me répondra, bien que partiellement à côté sur un point, tout en accordant manifestement une certaine attention à ma suggestion en prévision de la préparation des prochaines fiches horaires.
Descendre à Saint-Gildas de Rhuys, remarquer l’arrêt qui se trouve route de l’Ancienne Gare, à deux pas de l’ancienne station dont la bâtisse à la toiture aux tuiles ardoise est toujours présente ; autrefois la Compagnie des Chemins de fer du Morbihan exploitait cette liaison depuis Vannes en voie métrique, mais comme bon nombre d’autres départements, le Morbihan s’étant vidé de ses lignes secondaires à la fin des années 1940, reste au curieux qu’il m’arrive d’être de garder l’oeil captif au moindre signe historique, jamais insensible au détail ferroviaire passé, aux traces et vestiges des transports guidés d’une époque à laquelle nous avons peut-être trop négligemment tourné le dos.
Sortir plus tard au cours de mon séjour quelques cartes et partir à vélo sur les traces de cet ancien réseau dont une partie du tracé reste parfaitement identifiable grâce notamment au chemin du Petit Train, accessible depuis le centre-bourg et filant vers Le Net et Arzon en direction de Port Navalo. Traverser le chemin de la Lagune, contourner l’étang de Kerpont, traverser la D780 ou route de Port Navalo, passer la gare du Net convertie en habitation et prendre le chemin de Toul Karrezec, faire un écart du côté du golfe du Morbihan et repartir sur l’ancien tracé de la voie jusqu’à s’en écarter une nouvelle fois pour arriver plage de Port-Lenn.
Gagner enfin la gare de Port Navalo, dont le nom et les murs de façade du cinéma voisin ne trompent personne
Amorcer le retour, cheveux au vent ;mon accompagnatrice est plus crédible que moi dans ce domaine, à en regretter presque mes cheveux longs d’avant septembre 2013. S’amuser des prises de vitesse et apprécier la tranquillité de ce temps libéré de bruits et de sonneries, de conflits et de gens parasites, de contraintes horaires et d’obligations de toutes sortes. Profiter pleinement de ce temps réel et pédaler, surélevé à vélo comme suspendu dans les airs. Tracer.
S’en aller à bord de l’Intercités de 09h01 au départ de Paris Bercy à destination de Clermont Ferrand un certain lundi, plus tard en septembre ; temps clair, ciel dégagé et matériel Corail, des conditions satisfaisantes pour s’engager vers le Massif Central. Remarquer les nombreuses pousses d’herbe folle ponctuant en d’autant de tâches vertes l’enrobé des quais découverts de la gare de Bercy : la capitale ne brille pas plus que la province.
Surprendre un petit groupe de cheminots vêtus d’orange aux abords du kilomètre 176,861 au niveau du bâtiment voyageurs de la gare de Bonny sur Loire devant lequel le train qui m’emmène ne fait que passer. Les voir débroussailler et tondre les abords des emprises. Se faire la remarque de la présence agréablement surprenante de ces agents parfaitement SNCF et non d’employés d’une entreprise privée, recours aux prestataires pourtant devenu bien souvent la règle.
Remarquer lors de l’arrêt en gare de Nevers une fontaine d’eau potable à disposition depuis le quai attenant au bâtiment voyageurs (j’y repenserai plus tard en redécouvrant un genre similaire de fontaine mise à la disposition des voyageurs sur le quai attenant à la gare de Laqueuille). Noter donc avec intérêt la considération du voyageur lambda dans certaines gares de province (avec aussi les toilettes publiques accessibles gratuitement).
Accuser un retard à l’arrivée à Clermont Ferrand suite à un dérangement de signalisation sur le parcours mais bénéficier du maintien de ma correspondance autocar de la « relation n°83 » pour rejoindre Eygurande Merlines. Depuis le car à tarification TER dans lequel je m’installe, distinguer à travers les vitrages du véhicule et de la gare routière la silhouette d’un agent de manœuvre « coupant » la locomotive de mon train pour l’en désolidariser. Reconnaître cette jeune femme comme déjà aperçue par le passé (quasiment chaque été ces dernières années lors de mes transits à Clermont), et qui n’est pas sans rappeler l’allure d’une collègue éloignée. S’amuser de la situation un moment. Sentir le car démarrer vers d’autres cieux bien moins urbanisés.
Une fois installé à Merlines pour la deuxième année consécutive, déambuler à nouveau dans les emprises de la gare d’Eygurande Merlines un certain mercredi, accompagné par un ancien cheminot du Transport (filière Mouvement, rapport aux métiers relatifs à la gestion des circulations, à l’aiguillage et aux manoeuvres) y ayant travaillé, et qu’il m’est finalement rendu possible de rencontrer (avec un peu d’insistance). L’écouter me parler de son arrivée en service à la fin des années 1960, de la fin de la vapeur (dépôt d’Ussel) et de l’évolution technologique du mode de cantonnement côté Montluçon (passer du cantonnement téléphonique (pourtant pas sans risque car reposant exclusivement sur la stricte application de procédures humaines) au cantonnement assisté par informatique (mis ici en service en 1987) devait être quelque chose, à l’époque), aspect technique loin de me laisser de marbre aujourd’hui. Sentir chez lui une certaine amertume, conséquence de la fermeture de la gare et de la suspension du trafic des sections de ligne convergentes (mars 2008 pour la section côté Montluçon, 05 juillet 2014 pour la fermeture au trafic commercial des sections côté Laqueuille et côté Ussel, et février 2018 pour leur neutralisation). Le suivre du regard en l’écoutant me préciser l’implantation géographique des anciennes dépendances : les deux châteaux d’eau dont il ne reste plus trace aujourd’hui, les logements pour cheminots de passage et intérim, le réfectoire, la sortie (la salle des pas perdus), les postes d’aiguillage dont il ne reste plus que le poste de quai, barricadé comme toutes les autres ouvertures du bâtiment voyageurs, les guichets, les toilettes, le ou les bureaux (et logements) du chef district voie, le bureau du ou des agents du service électrique, le logement du surveillant travaux, le logement du chef de gare, la chaufferie (chaudière à charbon avant d’être une chaudière au fuel), les locaux de la brigade voie et le dépôt dont il ne reste qu’un semblant de dalle où je m’étais déjà aventuré un an plus tôt, le local à bouteilles de gaz (destinées aux réchauffeurs d’aiguilles) toujours debout au milieu de ce vide, la plaque tournante que je peine à m’imaginer, tout y passe ou presque. S’imaginer un instant l’étoile ferroviaire aux quatre branches d’Eygurande Merlines à ses grandes heures avec ses trois postes d’aiguillage, ses nombreux mouvements quotidiens et tout son personnel. Prendre un instant du recul et se représenter la scène : deux observateurs de générations différentes entourés de vide que la végétation gagne ; le constat est accablant, une nouvelle fois pour moi aussi.
Achever la visite par la traversée des locaux de la brigade voie dont les panneaux d’information syndicale délabrés et vidés de tout contenu s’accrochent toujours à la façade. Se représenter l’état avancé des dégradations des lieux en un an est édifiant : situation empirée avec davantage encore de désordre, objets et meubles déplacés, pots de peinture au sol, dont un de couleur rouge bien ouvert, un grand pinceau à proximité dont il ne nous faut qu’une seconde pour faire le lien, une grande croix gammée dessinée de rouge sur une paroi s’imposant à nous froidement. Qu’elle soit l’expression crétine, provocante ou idéologique de je ne sais quel intrus en ces murs, ce visuel vient voiler davantage encore le tableau, comme un coup de grâce, où toute hypothétique perspective heureuse de sortie de cette nouvelle exploration des lieux déjà peu encline à l’optimisme est anéantie. Se remémorer en écho à ce constat toujours plus sombre les arbres tournants des supports de signalisation mécanique mis à nu sur leurs mât et potence rouillés et visibles déjà un an plus tôt sur site, tels les croix d’un cimetière délaissé…mais un cimetière en friche, sans entretien ni ornement funéraire est-il décent ?
Un autre jour, arpenter les environs et les rues d’Eygurande en retraversant la rue de la Gare. Revoir les mêmes devantures et autres vitrines des mêmes boutiques rideaux baissés. Redécouvrir un panneau d’indication routière émaillé complété de la direction vers la gare de Merlines. Remarquer avec un étonnement légèrement amusé le maintien de cette signalétique, ou comment ne pas voir dans les boutiques fermées qui m’entourent un écho symbolique à la gare fermée de la commune voisine que pointe le panneau fléché ? S’éloigner du centre par les petites routes et reconnaître parmi les dispositifs de clôture des prés alentours des traverses de chemins de fer placées verticalement tels des piquets supportant les fils barbelé. Lire à l’endroit du clou à tête carrée de l’une d’entre elles « 35 » ; aucun doute, ces traverses ne sont pas d’aujourd’hui. Songer au bain de créosote dans lequel elles ont dû plonger lors de leur fabrication et reprendre conscience des conséquences environnementales d’un tel traitement ; le markéting calculé d’un transport ferroviaire « doux » acteur du « développement durable » en reprend donc un coup.
Rencontrer un ancien cheminot de la voie du secteur aux abords d’un passage à niveau de la section toujours neutralisée de Montluçon à Eygurande Merlines, sur la ligne de Bourges à Miécaze. Ne pas faire ici mention de détails trop explicites de cette rencontre tant l’homme souhaite éviter qu’on parle de lui. Mais lui reconnaître quand même un vrai talent manuel à travers ce que j’ai vu chez lui, dans la maison de P.N. qu’il habite depuis la fin des années 1970, pour se rapprocher de la nature et s’isoler. Lui reconnaître sa foi dans les transports collectifs et plus particulièrement ferroviaires, mais aussi sa détermination à l’isolement, dans le même temps l’âme d’un spirituel très convaincu et la qualité d’un guide que je ne suis pas prêt d’oublier (se reporter à mon exploration aux nombreuses égratignures (ronces oblige) de l’embranchement particulier et réseau du chantier du barrage du Chavanon, rendue possible en grande partie grâce à lui, par sa connaissance des lieux et ses éclairages sur le terrain). Il est des rencontres marquantes et pas moins atypiques qui font prendre conscience de la lucidité (éclairée ?) de certains plus que d’autres.
S’avancer sur les routes départementales du secteur et traverser le passage à niveau n°270 de la même section de ligne ; par ici, un panneau d’annonce routier se cache dans les fougères. Remarquer au même P.N. comme là aussi le bitume a été coulé sur les rails pour permettre le passage des véhicules routiers. Songer à ces réaménagements de la plate-forme qui en disent long sur l’avenir de la ligne. Visiter les lieux accessibles : dans ce qui s’apparente à un jardin à l’arrière de la maisonnette, un puits et un petit lavoir avec son bac envahi par les herbes me laissent le soin d’imaginer dans le plus grand des silences cette vie d’avant. Identifier sur une installation encore présente le tout premier logo de la SNCF. Remarquer plus loin au passage à niveau n°269 une cloche d’annonce toute noire érigée entre la façade de la maisonnette et le puits. Constater comme la végétation a massivement pris le dessus dans la voie de part et d’autre du P.N., au passage lui aussi recouvert d’enrobé. Remonter la côte descendue et chercher plus ou moins clairement mon chemin, orientation dont se fiche pas mal l’écureuil aperçu quelque part dans les bois lors de ma progression. Arriver dans le bourg de Feyt par un détour et suivre, l’oeil dérouté, la direction de la gare encore indiquée bien qu’elle aussi fermée.
Aborder des riverains entrant dans leur chalet, échanger avec eux le plus sympathiquement du monde, me ravitailler en eau et m’en retourner. Marcher en pleine chaleur 02 kilomètres qui en paraissent 04 sur ce bitume toujours plus chaud et m’arrêter enfin à un croisement : face à moi, un chemin sans indication mène au passage à niveau n°267 de la même section de ligne. Réaliser le large détour effectué. Remarquer dans la broussaille recouvrant les installations un poste téléphonique accompagné de sa tablette et entouré de ronces ; ici, point de communication, sinon piquante. Rejoindre la gare de Feyt (emprises pleinement converties en habitation que je ne pourrai qu’observer de loin). Revenir sur mes pas et contourner la maisonnette du P.N. 267, intrigué par la bifurcation longeant les prés. Tomber sur le portail de bois d’un particulier; l’échec est cuisant.
Revenir à nouveau sur mes pas et retraverser la départementale pour rebrousser chemin et regagner le centre de Feyt pour m’orienter vers Merlines, empruntant en partie l’ancien tracé de la voie de chemin de fer du réseau du chantier du barrage du Chavanon mentionné plus haut. Marcher, tourner, virer, interroger de rares riverains aperçus, visant notamment les accès et vestiges de ladite voie sans pouvoir me repérer vraiment pour cette première (mon exploration avec mon guide ne se fera que 04 jours plus tard) et amorcer le retour, las d’autant de détours sous ce soleil tapant.
Monter vendredi 11 septembre dans le car de 12h24 à l’arrêt entretenu au strict minimum de la gare d’Eygurande Merlines avec un jeu de 04 correspondances pour gagner Le Mont Dore via Laqueuille et La Bourboule, calcul d’itinéraires résultant d’une étude fine de l’unique dépliant horaire en ma possession où la plus grande concentration est requise pour s’éviter toute déconvenue : jour de semaine, samedi, week end ou jour férié, astérisque, renvois divers au nombre de 14 (circule (aussi) le(s)…ne circule pas le(s)…), mention en rouge prévenant l’audacieux voyageur d’éventuels travaux susceptibles de modifier les horaires communiqués dans la fiche…bref, il faut s’armer de courage pour s’y retrouver mais la situation est connue, je n’ai d’ailleurs jamais pris ni vu le moindre de ces cars bien remplis au cours de mes dernières virées estivales dans le secteur.
Découvrir à bord que le conducteur a été appelé une demi-heure à peine avant pour entamer sa mission à destination de Clermont. Apprendre alors que le Tour de France passe ce jour par la Corrèze. Respirer un coup en croisant les doigts. Descendre à Laqueuille et fixer l’affichage de l’arrêt, où une affichette on ne peut plus minimale mais pas moins claire liste sans détour les numéros des cars supprimés toute la journée en raison de l’événement sportif. Ne portant pas dans mon coeur les cyclistes de course vêtus de vêtements moulants aux couleurs chatoyantes, me voilà ravi. Mieux saisir alors le sens des déviations routières annoncées en amont. Relire le panneau. Le relire encore ; tous les cars ou presque de la journée sautent ! Dire que rien ne mentionnait la moindre perturbation à l’arrêt d’Eygurande Merlines. Envisager un courrier à adresser au service clientèle de la SNCF après mon grand retour (un message sera bien transmis à TER Auvergne Rhône Alpes début octobre, auquel je ne recevrai qu’un accusé réception du Centre de Relation Client SNCF TER, m’assurant de tout mettre en œuvre pour me répondre dans les meilleurs délais, m’invitant à ne pas réitérer ma demande et à bien vouloir patienter, mais je n’aurai jamais de retour).
Me rendre à l’évidence en constatant l’échec cuisant d’un déroulement de journée pourtant initialement parfaitement ficelé. Rebondir par obligation et m’adapter sans tarder : avancer à ce jour mon excursion exploratoire de la section de ligne de Laqueuille à La Cellette puis regagner Merlines par les chemins forestiers et la route. Réévaluer mes provisions alimentaires de fortune et rencontrer « par hasard » un agent SNCF de l’Equipement se préparant à prendre la route depuis un local voisin du bâtiment voyageurs où je prends le soleil ; je savais qu’une brigade était étonnamment toujours rattachée à Laqueuille. Entrer en contact avec lui en venant en ami, apprendre qu’il est d’astreinte et accepter sa proposition de me déposer au plus près de l’accès de la section de ligne sur laquelle je m’apprête à m’élancer, bien que sans mes documents, revirement de situation oblige. L’écouter me préciser n’être plus que 03 au sein de sa brigade, puis échanger autour de l’intervention d’entreprises privées désormais plus qu’immiscées dans le monde ferroviaire et facturant des sommes folles à l’entreprise publique comme lors des travaux de changement des moteurs d’aiguilles et d’entretien de la gare…06 mois avant la suspension du trafic ; le coup classique, et toujours écoeurant.
M’engager enfin sur la bifurcation depuis le passage à niveau n°292 interdit à la traversée des véhicules à moteur, aux cycles et au bétail depuis le 18 janvier 2019, installation déjà remarquée un an plus tôt pour l’avoir approchée de très près (P.N. manuel). Remarquer le nombre de panneaux de signalisation annulés (croix de Saint-André blanches). Dépasser à revers le signal de protection de l’entrée de gare et m’élancer vraiment. Me laisser accueillir par la voie qui s’ouvre devant moi, encore peu encombrée par la végétation. Sentir le soleil taper (la question de l’eau se posera plus tard). Apercevoir les premières maisons de passage à niveau. Se retourner de temps à autre et apprécier le point de vue ; les paysages sont magnifiques, la vue est large et lointaine. Retrouver très vite cette sensation étrange et caractéristique de ce que me procure la marche dans le ballast sur plate-forme dégagée en paysage rural ; symbolique ou pas, ce « truc » ne faiblit pas avec le temps, bien au contraire, il m’emmène toujours plus loin. Repérer ici et là restants d’installations, boîtes ouvertes vidées de leur contenu, tableaux indicateurs de vitesse, ouvrages d’art (majoritairement aqueducs et quelques ponts), cours d’eau, abris du personnel de l’Equipement, et progressivement davantage de végétation (quand il ne s’agit pas d’arbres). Surplomber plus loin un troupeau de vaches dans un pâturage traversé par un ruisseau ; le cadre est particulièrement remarquable et le calme très appréciable.
Distinguer bien en amont du passage à niveau n°284 dans mon sens de curieuses formes tachetées se déplaçant peu et lentement derrière la végétation haute dans la voie : une vache…que dis-je, un troupeau de vaches, en plein milieu de la plate-forme ! Se remémorer toutes les fois où j’appréhendais la rencontre d’un chien ou tout autre animal domestique laissé seul, potentiellement menaçant. Reconnaître n’avoir jamais envisagé rencontrer un jour un troupeau de vaches divaguant ! M’arrêter un instant, garder bien en main mon bâton du moment, hésiter et m’interroger quant aux suites à donner à cette virée soudainement interrompue par les bestiaux. Vu le nombre de bêtes devant moi et la configuration quelque peu en tranchée de la plate-forme réduite en cet endroit, me résoudre à escalader la paroi rocheuse à ma droite dans l’objectif de contourner l’obstacle s’il en est, perception en fin de compte plus fantasmée que réelle. M’extirper en hauteur et me frayer un chemin à travers les branches et la végétation, m’approcher à nouveau de la voie pensant dans un premier temps m’être suffisamment avancé mais croiser le regard guetteur d’une vache vaguement en train de me suivre. Reprendre mes distances en me courbant de plus belle, cherchant à écarter les nombreux branchages entravant ma progression. Se recroqueviller significativement en de nombreux passages. Tenter une accélération dans l’unique espoir d’éviter tout rattrapage animal une fois la voie regagnée. Dépasser enfin le troupeau et retrouver la voie par une brèche avec la sensation d’être suivi ; une vache (peut-être toujours la même ?) s’étant détachée du groupe me suit bien, le lit de pierres concassées sous ses pattes ne semblant pas la freiner.
Arriver enfin à ce foutu passage à niveau et me sentir moins seul (je le suis pourtant tout autant). M’amuser un temps de la situation tout en me trouvant bien bête avec cette impression désagréable du citadin s’improvisant randonneur de campagne sans savoir l’approcher vraiment (mes rencontres du coin s’en amuseront à l’évocation de mon anecdote) ; c’est qu’on peut se sentir bien faible et petit, face à un troupeau de vaches devant soi ! Me reprendre et réaliser la folle perte de temps occasionnée par cet épisode imprévu ; bien une première, depuis le lancement de mes escapades ferroviaires estivales en 2009.
Poursuivre et cheminer, avec toujours en tête les repères approximatifs vaguement mémorisés, étant dépourvu de tout document utile sur le terrain, conséquence du changement de plan du jour. Passer le point kilométrique 436 et longer avec intérêt le remarquable mur de soutènement maçonné sur ma droite.
Arriver à Saint-Sulpice, du nom du bourg situé au nord est en hauteur de l’ancien arrêt. Y distinguer une guérite dans un état de dégradation avancé précédée d’un mât supportant un téléphone de mise en relation avec le régulateur de la ligne, surmonté d’une plaque indiquant en rouge sur fond blanc le point kilométrique (434,8km), seuls témoins encore identifiables d’un temps de l’exploitation de la section. Remarquer l’emprise de la végétation sur les vestiges de la guérite faite de briques et de métal, ancien poste de cantonnement. Constater l’ampleur des dégâts causés par le temps : carreaux cassés, rouille apparente, applique de façade sans ampoule, serpents végétaux enlaçant deux vieilles chaises de bois à l’intérieur comme pour les retenir, ronces tapissant le sol et autres stigmates de réappropriation naturelle. S’imaginer la lampe au-dessus de la porte éclairer d’un halo de lumière improbable les ombres passées en ces lieux désertés depuis longtemps, où l’absence humaine semble comblée par d’étranges fantômes, inoffensifs pour le visiteur que je suis, mais dont l’esprit rôde toujours : peut-être même suis-je observé…ici au milieu de nulle part, l’isolement est total, aussi dépaysant que glaçant.
Traverser le passage à niveau n°283 et jeter un œil sur le carnet du P.N. conservé dans son plastique transparent de protection à l’intérieur de la boîte métallique prévue à cet effet. Songer à ces détails qui perdurent malgré l’impact du temps sur la vie des installations. Continuer sur ma reprise de lancée puis apercevoir plus loin en hauteur un disque noir cerclé d’un liseré blanc à 04 feux éteints. Approcher le panneau de signalisation, remarquer l’absence de croix de Saint-André d’annulation mais déceler un grésillement continu venant de l’armoire électrique voisine. S’étonner du maintien en service d’une alimentation dont je ne connais pas la destination en m’interrogeant par ailleurs sur l’absence d’annulation visible du signal, rompant avec les dispositions prises jusque-là sur les signaux du parcours. Esquisser un sourire en distinguant, bien qu’en contrebas, une carte partiellement décomposée du nom de Railwalker coincée au niveau des boîtes de feux lors d’un de ses deux passages antérieurs en 2017 ou 2019. Reprendre la marche et remarquer une pancarte à droite de la voie repérant l’approche d’ouvrages d’art à gabarit réduit, implantation surprenante pour une ligne à signalisation à gauche. Traverser le tunnel de la Ceppe ; d’une longueur de seulement 68 mètres, celui-ci m’impressionne bien moins que celui de la Vervialle, traversé un an plus tôt sans éclairage ! Remarquer une petite centaine de mètres plus loin un autre signal implanté à droite, mais cette fois fléché, qui plus est allumé : la bande rouge du guidon d’arrêt 1 géré par la gare de Bourg Lastic Messeix dont je m’approche est clairement allumée devant moi (ce sera le seul signal lumineux effectivement allumé de la ligne que je verrai). Apercevoir à droite en contrebas quelques moutons ruminant, le remblais de la voie ferrée les dominant d’un côté, le ruisseau de la Clidane de l’autre à leur niveau.
Passer l’aiguille d’entrée/sortie de la gare de Bourg Lastic et déambuler dans cet espace soudain plus ouvert, comme une clairière en pleine forêt. Errer dans les emprises et approcher le bâtiment voyageurs en m’imprégnant de l’ambiance des lieux, forcément un peu prenante tant l’endroit semble abandonné et isolé. Longer le BV en jetant un œil à travers les vitres des portes maintenues fermées mais non barricadées. Lire sur l’une d’entre elles « Bureau Mouvement » écrit d’un blanc en partie effacé et frotté. Remarquer les boiseries du guichet, les rares tableaux encore en place vides de tout affichage, l’absence de tout mobilier par ailleurs, et les murs peints d’un vert repoussant comme on peut en voir en de trop nombreux locaux SNCF sur le territoire. Atteindre le poste d’aiguillage extérieur (les verrous commutateurs du poste à l’intérieur du bâtiment voyageurs étant inaccessibles). Observer les 04 leviers de type I à crans enclenchés mécaniquement et électriquement regroupés sur un même châssis, tous alignés, l’itinéraire de la voie directe dans les deux sens étant maintenu tracé en continu. Noter comme la rouille a gagné les supports, flasques, leviers, balanciers d’enclenchement, coulisseaux et autres pièces de fixation, comme la visserie des écriteaux correspondants qui leur font face. Suivre des yeux la perspective des transmissions funiculaires et leurs balanciers amplificateurs de course partiellement noyés dans les herbes hautes de l’été. M’éloigner de cette mécanique qui ne cesse de me fasciner et, remontant quelques mètres, regarder les quais bouffés par les herbes. Voir enfin dans la perspective alignée des mâts d’éclairage des emprises les silhouettes oubliées de métiers dans l’ombre dont les crosses courbes s’apparentent à des têtes s’inclinant impuissantes sous le couperet, pleurant leur peine d’un temps définitivement révolu, car quand bien même une hypothétique réouverture de ligne verrait le jour, je doute fort que les installations d’aiguillage actuelles reprennent du service (les grands penseurs du monde moderne leur préféreront une commande centralisée informatique à distance, et leurs frères d’armes du commercial la billetterie en ligne, tout en se gargarisant d’un sens du service toujours plus affûté…comme une lame).
Demander de l’eau à un riverain voisin présent pour (nécessaire) ravitaillement et échanger avec lui. L’écouter m’expliquer qu’une entreprise privée débroussaille depuis quelques jours une partie de la ligne, la remontant jusqu’à « la cascade » (ce dont j’aurai confirmation en m’avançant plus loin) ; intervention d’après lui n’émanant pas de SNCF Réseau…mais à qui on aurait sommé de faire le nécessaire ; ce que la gestion du réseau SNCF semble obscur, décidément…
Quitter les lieux en reprenant la voie, notamment bordée de sapins aux tailles variables. Remarquer au passage à niveau n°279 l’armoire de signalisation entrouverte, câblages apparents, ainsi qu’un autre signal lui aussi complètement éteint et pas plus annulé par croix de Saint-André que son homologue à l’extrémité opposée de la gare de Bourg Lastic. Approcher en visuel le haut viaduc routier de l’A89 et remarquer en contrebas sur ma droite un hamac avec quelqu’un s’y prélassant. Me faire accueillir par un chien m’aboyant dessus en venant à ma rencontre depuis le passage à niveau privé n°278, au voisinage duquel des résidents à l’allure de nomades accompagnés de leurs chiens et semblant vivre de débrouille et de bricoles sont installés sur le vaste terrain de part et d’autre du P.N. M’arrêter et laisser s’approcher l’animal pour me sentir tout en échangeant quelques mots très cordiaux avec une habitante des lieux, parfaitement avenante et qui cherche à me rassurer vis-à-vis de son chien non tenu en laisse, propos que trop de propriétaires tiennent sans jamais vraiment connaître leurs réactions. Rester calme, user d’une voix apaisante et caresser la bête en installant un « climat de confiance » avant de poursuivre la marche en direction de La Cellette. Dépasser le passage à niveau au voisinage duquel un résident fait de la mécanique sur un véhicule. Relever plus loin l’inscription « hotel » peinte en blanc au-dessus de l’entrée d’un abri le long de la voie fait de simples planches de bois toutes noires et couvert de tuiles (à dire vrai, en s’approchant, les planches ressemblent davantage à des traverses de chemin de fer) ; il y en a qui ont de l’humour. Me sentir bien petit en passant sous l’imposant viaduc routier et découvrir plus tard un nouvel abri ferroviaire au milieu de végétaux, baraquement en dur (plaques de ciment) à plusieurs fenêtres dont l’une, entrouverte, présente toujours accrochée une lettre d’avertissement émanant de la direction immobilière territoriale sud-est de la SNCF établie à Lyon, d’une date déjà bien antérieure et qui a pour objet la mise en qualité des dossiers techniques amiante. Lire la page en m’amusant de la forme très standardisée du message, en décalage complet avec le site, aucun « occupant » identifié ici ne risquant de contacter ladite direction pour « coordonner l’intervention du diagnostiqueur ».
Aborder enfin la courbe débouchant sur le site de La Cellette où l’imposant centre hospitalier psychiatrique m’avait impressionné un an plus tôt. Arriver à l’ancienne gare correspondante dont seuls la bordure de quai noyée dans la végétation, la lampe d’éclairage surmontant le mât de ciment à l’écart et le gabarit du passage de liaison avec la route témoignent de la desserte voyageurs historique. Suivre du regard les caniveaux ouverts et constater l’absence de tout câble ; se serait-on déjà allègrement servi en cuivre ? S’imprégner à nouveau de l’isolement des lieux, laissant s’imprimer en moi toute trace visible et palpable de l’activité ferroviaire et humaine passées, comme pour en retenir les saveurs auxquelles je n’ai pourtant jamais goûtées, et que les seules photographies anciennes et autres cartes postales d’époque illustrent. Mesurer comme prendre le temps pour s’en imprégner est si nécessaire, et comme il s’oppose aux cadences effrénées des rythmes modernes du citoyen agité des villes ; probablement pourrais-je rester ici des heures et me laisser envahir par ces fantômes de l’oubli, quitte à m’y perdre moi-même. Se décider enfin à quitter les emprises en suivant le chemin pour rejoindre la route longeant le Chavanon que j’enjambe en traversant un magnifique ouvrage métallique riveté ; si le chemin est encore accessible, seule l’herbe tapisse le sol.
Gagner un sentier en m’inspirant des vagues souvenirs de plans acquis l’année précédente et passer sous le remarquable viaduc ferroviaire maçonné du Chavanon avant de me « perdre » en forêt, dont je ne sortirai qu’un (certain) temps plus tard, alors que le jour décline sérieusement. User de mon sens de l’orientation au mieux pour m’éviter toute nouvelle galère. A hauteur du kilomètre 422,800 de la ligne, remonter le sentier et traverser un pont route enjambant la voie. Y déceler un garde-corps carrément scié (dangerosité que je relaierai plus tard en cherchant à contacter par écrit la mairie de Monestier Merlines mais dont je n’aurai aucun retour).
Continuer ma remontée ; le soleil se couche.
Sentir la fatigue accumulée, conséquence en bonne partie du changement de plan, de l’épisode du troupeau de vaches, de l’excès de végétation à hauteur d’homme et d’arbres couchés en de trop nombreux endroits de la ligne, entraînant de forts ralentissements dans la progression avec notamment des casses de rythme devenant contraignantes au fil du parcours, des nombreux insectes volants et toiles d’araignée à profusion, et bien sûr de la chaleur, bien qu’étant un paramètre plus connu et anticipable dans des conditions d’organisation plus normales. Arriver enfin à Merlines à la nuit tombée pour boire, manger, boire encore et dormir, le corps las, mais les images de la journée défilant en tête.
Partir le lendemain direction Le Mont Dore dans le but de remonter la ligne jusqu’à La Bourboule, comme prévu initialement la veille. Descendre d’un premier autocar à Laqueuille pour correspondance cette fois sans raté et pénétrer sans tarder dans les emprises ferroviaires dès mon arrivée en gare du Mont Dore. Constater l’abandon du bâtiment voyageurs côté voies, identique à l’an passé. Noter la présence de batteries encore branchées dans un centre de signalisation à la porte entrouverte à proximité de la voie dans laquelle je m’engage vite, connaissant déjà les lieux et souhaitant avancer sans traîner. Observer ici et là sur la section parcourue les dégradations d’installations (bris de verre de feux de signalisation, graffitis et bris de verre de guérites de signalisation, dépose supposément illégale de boîtes de feux de signalisation et graffitis sur signaux). Passer le point kilométrique 453,752 et son heurtoir, s’engager alors sur la section encore exploitée pour la desserte de l’embranchement des eaux du Mont Dore. Passer l’embranchement et quelques ouvrages d’art avant de gagner La Bourboule, gare tout autant désertée que Le Mont Dore depuis la fin du service voyageurs sur la ligne. Errer et photographier les emprises et quelques détails d’architecture, m’attardant sur le magnifique abri de voyageurs en pan de métal et orné notamment de mufles de lions ; la structure accuse malheureusement bien tristement le coup du manque d’entretien. Apercevoir au détour d’un recoin accessible du quai attenant au bâtiment voyageurs une pancarte rappelant les visuels des années 1970 et qui témoigne d’une offre passée : « ici TRAIN + vélo ». Remarquer les quelques graffitis en guise de mauvaises signatures visibles en-dessous du message, comme un marqueur (de plus ?) de vandalisme et d’affirmation d’une forme d’effondrement d’un temps définitivement révolu. Y voir un contraste fort avec le caractère désuet de la pancarte ; le monde d’avant, le monde d’après, pourrait-on se dire.
Avancer en tête de quai côté Laqueuille en prenant du recul et distinguer sur le flanc d’une cheminée du bâtiment étonnamment en réfection (extérieure) les deux initiales parfaitement identifiables de l’ancienne compagnie privée initialement en charge de l’exploitation de la ligne avant la création de la SNCF en 1938. Accueillir avec le sourire ce clin d’œil au Paris Orléans d’antan. Sortir de la zone et gagner la cour de la gare où je prendrai mon car tout à l’heure. Surprendre sans le vouloir un jeune couple assis sur un banc voisin alors que je saute par-dessus un portillon du bâtiment. Continuer mes photos et les sentir quelque peu intrigués par ma présence. S’octroyer du temps pour rejoindre le centre et se prendre un sorbet rafraîchissant à l’intérieur d’un café au charme certain, que le jazz délicieux diffusé en fond sonore accompagne à merveille. Remonter en gare à l’arrêt de bus où se trouve toujours le couple de jeunes gens et réaliser mon erreur de calcul de correspondances en ce samedi (foutu fascicule horaire illisible). Tenter le stop pour m’avancer à Saint-Sauves dans le but d’explorer éventuellement les abords de la gare, masque sanitaire en main pour montrer patte blanche sans que ça ne change rien (je ne serai jamais pris). Garder à l’œil (amusé) le jeune couple sur son banc assistant, impuissant, à ma vaine tentative d’autostoppeur. Les approcher finalement et les aborder. Echanger quelques minutes en leur laissant me donner leurs impressions sur la vie de La Bourboule et le report du trafic ferroviaire sur le trafic routier ; ils soutiennent le train, remarquent régulièrement les passages du marchandises des eaux du Mont Dore et me précisent avoir constaté une diminution de la fréquentation de voyageurs depuis le report modal vers l’autocar. Trouver sensible leur intervention sur le sujet. Prendre donc le temps d’une balade dans la ville en attendant le prochain car et se sentir soudain pleinement l’âme d’un touriste muni de son appareil photo.
A l’arrêt de bus que je regagne en toute fin d’après-midi, être interpellé par une dame munie de bagages et manifestement légèrement agitée, en proie à une interrogation légitime concernant le prochain autocar à venir. La rassurer mais ne pas tarder à déceler chez cette femme une relative tension et un besoin manifeste de partager ses petits malheurs. L’écouter me parler d’un problème rencontré avec une conductrice du car pris quelques jours plus tôt pour venir à La Bourboule. Une fois à bord et installés tous deux en fond de véhicule, l’entendre me débiter ses préoccupations du moment en revenant sur l’altercation avec ladite conductrice, dirigeant la quasi intégralité de l’échange (davantage un monologue), et l’aiguillant étrangement en m’assenant subitement que la violence verbale est plus dure que la violence physique, sujet délicat où mon sens de la nuance dans ce domaine rompt avec la position tranchée de cette gentille hystérique de passage au respect du port du masque bien discutable. Prendre congé sans gêne une fois arrivé à Laqueuille pour changement de car, enfin au calme, dans le silence.
Noter qu’à deux reprises au cours de cette journée j’ai été témoin d’échanges animés entre différents conducteurs d’autocars se croisant à Laqueuille pour correspondances, l’épineux sujet concernant manifestement des problèmes de gestion du personnel avec des collègues cherchant manifestement à aménager leurs horaires de travail au détriment d’autres (les critiques auront fusé). S’interroger à chaque fois que je suis témoin de ce genre de scène, dans un milieu professionnel où le client, même simple usager d’un service de transport, n’est pas censé se retrouver spectateur des tensions qui agitent les employés. Réaliser dans le même temps qu’un point de correspondance comme Laqueuille est peut-être le seul point de rencontre possible entre conducteurs roulant toujours seuls ; l’équivalent de la machine à café de l’espace détente d’une entreprise de bureaux ? Mettre à profit le temps de correspondance pour déambuler une nouvelle fois dans la partie sud ouest des emprises de la gare. M’attarder notamment à photographier des détails des installations du passage à niveau n°292 : boîtes électriques, cadenas du service électrique de signalisation, écriteau, poulies de barrière, transmissions funiculaires, étiquette informant du dérangement d’un téléphone et j’en passe. Remarquer la présence de rails double champignon sur certaines sections de voie, le reste en Vignole. Remonter sur les flancs des emprises et gagner un peu de hauteur ; d’ici la vue est imprenable.
M’élancer le lendemain et pour la deuxième année consécutive sur l’ancien tracé de la section reliant Eygurande Merlines à Bort les Orgues, sur la ligne de Bourges à Miécaze. Sur la base déjà très inspirante de la fiche 19141.a des « Randonnées ferroviaires » des Inventaires Ferroviaires, et pour en détailler l’itinéraire, noter en cheminant tous les « points facilement repérables ».
Emprunter le chemin de Neuvialle (Monestier Merlines) et de celui-ci, prendre la direction des gorges du Chavanon (indiqué), passer un premier ouvrage d’art (ancien pont-rail) ; au 3e panneau de direction, la voie carrossable devient chemin. Remarquer ici et là le long de la plate-forme l’implantation de vieilles traverses bois érigées à la verticale. Passer la maison de passage à niveau sur la gauche (donnant sur vallon), marcher sous le pont route de la Borie, franchir un ancien pont-rail, passer l’accès à l’ancien barrage de Lagarde sur la gauche (indiqué), puis les vestiges d’un baraquement ou abri du personnel sur la gauche (cheminée de briques encore identifiable en partie dans la roche). Marcher sous le viaduc routier du Chavanon, passer les vestiges d’un passage à niveau piétons (montants des portillons d’accès seuls toujours en place des deux côtés du chemin et marqués de peinture pour circuits de randonnée, dont un que j’avais d’ailleurs suivi partiellement l’an passé). Passer le ruisseau de Marty en contrebas sur la droite (indiqué), puis le ruisseau de Gioux sur la droite (indiqué), sans y entendre le moindre bruit d’écoulement. Passer les ruines d’une maison sur la gauche (ancien passage à niveau ?), remarquer un muret de pierres sur la droite (petit mur de soutènement ou perré ?), plus long que haut, et arriver à l’ancienne gare de Savennes Saint-Etienne aux Clos (emprises gagnées par propriétaires privés), à proximité de laquelle se trouvent d’anciens fours à chaux, exploités en deux temps mais définitivement arrêtés en 1957.
Contourner légèrement la plate-forme par la droite et franchir un ancien pont-rail sur un cours d’eau, passer la maison de P.N. 281 sur la droite, pénétrer en zone forestière plus sauvage en s’engageant sur le chemin étroit, humide et boueux. Passer les bassins piscicoles (alimentés par un bief, d’où l’écoulement continu), visibles en face sur la gauche, sur l’autre rive du Chavanon, traverser la forêt de Froides Maisons.
Arriver à l’entrée obscure et froide du tunnel du même nom (grillagé mais entrouvert par une brèche), qu’occupent régulièrement des chauves-souris protégées (Parc naturel régional de Millevaches en Limousin). M’arrêter là pour cette excursion et amorcer le retour quand un véhicule arrive face à moi : voir deux pêcheurs en descendre. Echanger un moment avec eux et écouter le plus ancien m’expliquer comment la traversée des tunnels de la section jusqu’à Bort s’effectuait auparavant, à pied et en voiture jusqu’entre 1995 et 2000 (période imprécise mais qui donne une idée) : la courbe et la longueur d’un des tunnels avals en particulier rendant invisible toute une portion de l’ouvrage, les pêcheurs s’y engageaient en suivant le mur par contact jusqu’à apercevoir l’ouverture à l’extrémité ; selon eux, tous les autres tunnels avals sont aujourd’hui normalement condamnés (grillage et/ou pierres monumentales en travers), mais certains s’en affranchissent encore.
Plus tard après mon retour chez moi, je chercherai à écrire, sans succès, à l’Office de Tourisme du Pays d’Eygurande puis à la mairie de la commune pour leur signaler avoir repéré quelques centaines de mètres en amont de la gare de Savennes dans le sens descendant une poubelle et quelques installations destinées aux promeneurs laissées à l’abandon (poubelle sans sac et noyée dans les végétaux, ferraille au sol à peine visible dans la végétation et traînant en plein milieu du passage étroit regagnant le Chavanon). Comme ailleurs dans le secteur, certains circuits manquent clairement d’entretien.
Quitter la Haute Corrèze en rejoignant l’arrêt de la gare d’Eygurande Merlines pour emprunter un dernier autocar TER. Y observer une dernière fois l’affichage : les informations de la liaison R12 de Faure Corrèze Autocars et datées du 03 juillet 2020 attendent une hypothétique mise à jour, et le carreau cassé du poteau d’arrêt, sa réfection. Ne cesser de voir à travers ces « détails » la piètre considération accordée aux usagers et le lent travail de sape orchestré plus haut.
Descendre en gare routière d’Ussel pour correspondance avec un car du réseau Faure. Patienter, tourner en rond et remarquer une inscription gravée sur un support de la marquise à l’esthétique discutable : y lire le nom d’un contrôleur cité explicitement. Ne se faire aucune illusion sur le sens bienveillant du message, l’amuseur de bas étage à l’origine du graffiti voulant certainement faire part de son plus grand respect pour ledit employé rencontré sur son passage.
Embarquer enfin à bord de l’autocar attendu, car majoritairement scolaire à cette heure d’un mercredi midi, où je m’affranchis de seulement 02 € pour effectuer la cinquantaine de kilomètres jusqu’à la gare de Felletin, en Creuse. Comparer avec les anciens tarifs où il fallait s’acquitter de 13 € pour la même distance et saluer, à l’instar de mon expérience dans le Morbihan, une nouvelle politique tarifaire appréciable, bien qu’il faille passer son chemin sur le plan des horaires et de leur amplitude ; dire qu’on se plaint de la qualité de service en Ile de France…
Lors de la montée d’élèves à un arrêt d’établissement scolaire en plein Ussel, entendre la conductrice recadrer un jeune garçon montant masque sanitaire baissé sous la bouche. L’entendre râler mais le voir s’exécuter immédiatement ; la dame semble rompue à la gestion du scolaire. Voir monter ici et là par petites grappes jeunes et moins jeunes élèves du secteur, tous manifestement habitués aux trajets domicile – école. Voir progressivement et dans les mêmes proportions se vider l’autocar à mesure que nous sillonnons ; le mot est volontairement choisi, tant le parcours, dévié pour cause de travaux, nous fait passer par de petites routes. Remarquer silencieusement la maîtrise de la conductrice partout où elle se fraie un chemin sans jamais faillir à sa mission. Descendre à Felletin et prendre un moment pour le casse-croûte ; l’air est bon mais ça ne va pas durer. Ne pouvant m’en empêcher à nouveau, errer dans les emprises, observer la voie, les rails et leurs attaches, la façade de la gare nouvellement « décorée », tirer quelques clichés des abords.
Capter des voix depuis l’intérieur du bâtiment voyageurs ; des membres du collectif Quartier Rouge, à l’initiative de la restauration de la gare et de ses emprises et de leur conversion en « tiers lieu », y travaillent justement. Aller à leur rencontre et sentir le temps tourner, être invité à patienter dans une pièce aux murs découverts en raison des travaux et y remarquer une pancarte de signalisation SNCF posée dans un angle ; l’histoire ferroviaire du lieu habite encore à sa façon le bâtiment. Regarder la pluie tomber par les ouvertures de la pièce : d’un côté la cour, de l’autre, les quais où mon train arrive justement pour retournement. Echanger ensuite quelques minutes avec les deux membres du collectif et réaliser en leur parlant que l’abri du quai central a effectivement disparu. Les écouter m’expliquer avoir assisté un jour par surprise à la démolition de l’édicule ; il est à la SNCF des décisions parfois surprenantes et décalées : des installations, même considérées comme annexes, sont conservées dans des endroits du réseau pourtant bien plus désertés que Felletin ; intéressant au passage de noter la réactivité de l’entreprise publique dans un cas de destruction comme celui-ci (dérouté par ce constat, j’écrirai plus tard à la SNCF via le TER Nouvelle Aquitaine pour tenter de comprendre notamment qui de Gares & Connexions ou de SNCF Réseau a prononcé la sentence, mais je n’aurai aucun retour). En septembre 2019, l’abri était pourtant encore debout, j’y étais. Monter enfin dans l’autorail en direction de Busseau sur Creuse où je projette de passer la nuit et observer les gouttes de pluie ruisseler le long de la baie vitrée contre laquelle je me plaque : le quai de la voie d’évitement paraît si nu sans son édicule. Dire qu’aucune consultation du collectif porteur du projet de réhabilitation des lieux n’a été entreprise par le donneur d’ordre SNCF…écoeurant, là aussi ; l’abri aurait pu être valorisé.
Me laisser guider sur la voie unique et « bercer » par le ronronnement bruyant et les vibrations de l’X 73500 qui m’emmène jusqu’à Busseau en passant par Aubusson dont la gare n’est elle aussi devenue qu’une simple halte ou point d’arrêt non géré. Remarquer que la ligne semble être toujours en sursis, même si les cars, de leur côté, sont chargés en heures de pointe ; les trains, eux, transportent toujours autant de voyageurs : deux personnes dont moi-même, ce qui en totalise quatre en ajoutant le personnel de bord (conducteur et contrôleur), soit exactement le même nombre de personnes embarquées qu’à mon trajet de l’an dernier sur cette même section. Ne relever donc aucune amélioration du service, aucun changement en un an de temps, l’aberration persistant manifestement à cause d’horaires très largement inadaptés.
Remarquer l’attitude du contrôleur : un jeune homme dont le port de l’uniforme s’en tient au minimum, assis dans son coin, ne contrôlant personne ni ne procédant à aucune opération de sécurité aux arrêts successifs, c’est à peine s’il lui arrive de lever les yeux du supposé téléphone mobile qu’il tient, probablement plus intéressé par l’animation visuelle de son petit écran que le paysage défilant (j’aurai la confirmation de mes impressions lors de ma descente à Busseau où je capterai en un instant dans sa démarche clairement nonchalante et son air désabusé une force et une motivation proches de zéro). Bouillir gentiment intérieurement en le voyant remettre la sacoche navette à l’agent circulation de la gare de Busseau : être témoin involontaire d’une telle désinvolture vient réveiller chez moi une crispation que je connais déjà trop souvent dans mon quotidien francilien.
Traverser le passage planchéié et gagner le bâtiment voyageurs. Suivre des yeux le train partir pour Guéret. Regarder l’heure et réaliser être arrivé à Busseau après presqu’exactement 06h18 de voyage interrompu par des temps de correspondance d’une longueur exagérée pour seulement 100 km à parcourir ! M’intriguer du tintement continu d’une sonnerie fort audible en provenance du poste d’aiguillage à quai dont j’apprendrai plus tard en discutant avec l’agent circulation qu’il est la conséquence d’un dérangement d’annonce. M’installer à l’hôtel restaurant voisin dont la terrasse offre une vue remarquable sur le viaduc ferroviaire de Busseau. A peine plus tard dans la soirée, alors que la gare est restée ouverte suite au dérangement de l’installation, enregistrer la douce harmonie de la sonnerie persistante et stridente sur fond de coups de tonnerre lointains ; l’orage, la pluie, et la sonnerie, le décor est planté. Echanger quelques mots avec l’agent toujours en poste : cette gare de bifurcation paraît toujours aussi isolée mais pas moins intrigante.
Jeudi 17 septembre, se retrouver pris dans les mailles de contraintes légères mais certaines (fermeture de l’hôtel restaurant et mouvement social cheminot), devoir envisager le retour et accepter bien volontiers la proposition de l’agent circulation rencontré la veille au soir passant par là le matin même au retour de Felletin, aucun train n’étant finalement prévu de circuler dans le secteur ce jour-là ! Découvrir au cours de la conversation l’évolution d’amplitude d’ouverture des postes de Busseau et de Lavaufranche, gare située à 34 kilomètres de là vers Montluçon et repérée un an plus tôt : le poste de Lavaufranche n’est tenu qu’en matinée en fonction des besoins (desserte d’une carrière à proximité), autres horaires selon travaux, Busseau en horaires de journée, fermé le week end. Noter que les horaires semblent par ailleurs « adaptés » de partout : sauf travaux, point d’horaires décalés en 3*8 par ici ; l’amaigrissement progressif de l’amplitude des horaires d’ouverture des gares et des postes en dit généralement long sur le déclin de l’activité ferroviaire d’un secteur. L’entendre me parler d’un (hypothétique ?) projet d’intensification du trafic vers Felletin et Montluçon tout en demandant à voir ce qu’il en sera. Réaliser par ailleurs comme cette grève nationale devenue habituelle chaque mois de septembre me pèse désormais, n’en étant pas à ma première déconvenue, d’autant qu’à mon retour en région parisienne, la lecture d’un certain tract syndical émanant d’une section rouge de Versailles appelant à la mobilisation ce jour-là me laisse plus que dubitatif quant aux revendications exprimées, qui plus est dans le contexte économique et sanitaire actuel : les mêmes formules choc et mots guerriers sont ainsi réemployés pour marquer les esprits, se complaisant dans une victimisation systématique à travers une vision basiquement manichéenne, accusant encore et toujours le patronat et ses attaques (à venir), pointant du doigt les conséquences d’une crise sanitaire dont nous pourrions pour le coup discuter effectivement la gestion, mais prenant comme contre-pied l’engagement (sous-entendu systématique) des cheminots lors du confinement du printemps 2020 alors même que certains agents semblaient parfaitement ravis d’avoir dû rester chez eux, détachés de toute inquiétude relative à la pérennité de leur emploi au sein de l’entreprise publique encore malgré tout assez confortablement adossée à son unique actionnaire qu’est l’État ; d’autres agents, plus « essentiels », eux, continuaient à travailler quasi normalement pour assurer le minimum de service requis malgré la chute significative du nombre de circulations…là aussi, il y a plusieurs chemins de fer, mais également (et surtout ?) plusieurs esprits cheminots.
Etre déposé sur le parvis de la gare de Limoges, décidément une des plus belles gares de France sinon la plus belle, et m’avancer jusqu’aux écrans d’affichage. Prendre la mesure du temps qu’il me faut attendre avant le prochain départ possible pour Paris. Digérer l’information, debout, immobile, comme figé, mon sac de randonnée plaqué contre mon dos et moi-même faisant presque statue. Au cours de mon attente de deux heures, bien que ne restant pas statique ni même en gare bien longtemps, me faire aborder à deux reprises par des individus, systématiquement des hommes, mendigotant l’air de rien, demandant la pièce (01 € puis 02 €) ; devrais-je y voir les signes d’une préparation psychologique à retrouver la capitale ?
Emprunter quelques jours plus tard le TGV de 10h36 au départ de Paris Montparnasse à destination de Nantes pour virement de bord sur la côte vendéenne et son accalmie postérieure aux vacances scolaires. Remarquer avec un intérêt intrigué la voix posée de la contrôleuse (en chef, titulaire ?) lors de ses annonces au cours du trajet. En apprécier le timbre agréable et le rythme lent. S’imprégner de cette douceur apaisante qui me repose. Identifier sa silhouette (sauf erreur de ma part) et remarquer sa démarche élancée ; en noter la concordance parfaite avec sa voix. Réaliser après coup mais non sans sensibilité qu’un « agréable voyage » tient parfois à peu de choses. Tout n’est donc pas perdu.
Arriver à Challans par le train de la ligne reliant initialement Nantes à La Roche sur Yon par Sainte-Pazanne, où la plupart des gares sinon toutes semblent être tenues du point de vue du service de la circulation (j’y vois à chaque fois ou presque un agent), ce qui est à saluer. Enchaîner avec une correspondance rapide par autocar et apercevoir à distance lors de la manœuvre au départ de la gare routière un véhicule estampillé « Gare Mobile TER » stationné à proximité immédiate du bâtiment voyageurs. Me souvenir avoir déjà lu quelque chose sur le sujet : ici et là sur le territoire, des boutiques ou guichets mobiles sont parfois mis en place en substitution de leurs locaux physiques dans des lieux pourtant parfaitement consacrés que sont les gares ; ce service dit « de proximité » (à condition de disposer d’une connexion internet et de savoir s’y prendre pour connaître les dates, horaires et lieux du dispositif) aurait justement été mis en place pour la première fois en 2015 en région Pays de la Loire.
Me laisser guider à bord jusqu’à Fromentine où je vais séjourner, commune et villes environnantes que je traverserai avec bien en tête l’intention d’en profiter pour repérer les rares anciennes bâtisses et emprises des anciens réseaux en voie métrique exploités par la société du Chemin de fer sur Route de Challans à Fromentine dès 1896 d’une part, et par les Tramways de la Vendée dès 1925 d’autre part (pour la liaison de La Barre de Monts aux Sables d’Olonne), et dont les tracés correspondent encore assez largement aux grandes voies de communication routière d’aujourd’hui, illustrant, bien que très discrètement de nos jours, le rôle historique du transport ferroviaire dans le désenclavement de ces territoires.
A travers mes itinérances guidées par les contraintes et la rigidité implacable de l’organisation des cars et des trains des réseaux fracturés et très largement inégaux d’un territoire aux multiples facettes, je comptabiliserai un total parcouru d’une vingtaine de segments d’itinéraires aux obligations horaires variables et aux réadaptations à la volée selon les lignes et ma disposition à les supporter pour le énième été.
Comment se projeter sereinement de prochaines virées longue distance dès l’été prochain, la situation sanitaire liée à l’épidémie restant incertaine et les tensions dans la société me préoccupant davantage encore cette année, état d’esprit que renforce cycliquement le sombre contrecoup pessimiste de mes virées ferroviaires funèbres ?
Mais, comme l’amortissement d’un plancher sous les mouvements du danseur, le fourmillement et les douleurs associées de la pierre concassée sous les chaussures de randonnée me manqueront bien à nouveau prochainement. Et si certains humains « ont abandonné le lieu, la gare », d’autres se refusent à les oublier. Tout n’est donc pas (complètement) perdu…
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Hauteur de vue
Train VERI de 20h42 au départ de Sèvres Ville d’Avray, à destination de La Verrière ; triage de Trappes et gare de La Verrière, mercredi 19 août 2020
Une fois la gare de Trappes desservie, je sens la force du vent pénétrer par les fenêtres largement ouvertes de la Z2N qui me transporte. La sensorialité du moment est magnifiée par l’impression de vitesse dans la courbe où le mouvement de la rame s’inscrit. Longeant les faisceaux de voies du triage de Trappes, l’accélération en est presque excitante. Installé au niveau inférieur de la rame, je me sens glisser puissamment sur les rails, pénétrant l’air comme un oiseau ne quittant pas des yeux sa cible. Bientôt l’imposant poste 4 décrépi du triage apparaît et j’y distingue, dans la pénombre de la cabine en hauteur, la lumière des écrans informatiques devant lesquels se décroche la silhouette de l’aiguilleur en service penché sur son bureau, telle une ombre fantomatique affairée. Le « chef circulation triage » domine les voies et se paye régulièrement les plus beaux points de vue des levers et couchers de soleil du secteur. Détachée des enfantillages, de la fainéantise caractéristique de certains cheminots dans l’ennui, des petites guerres d’égo, des revendications parfois bidon et autres conflits internes en nombre, cette brève scène de vie prend une tournure artistique en incorporant dans le tableau le fond crépusculaire d’un ciel de soirée aux nuages denses et épais. Quand l’épaisseur du paysage embrasse l’infrastructure et ceux qui la font vivre…
Le temps réduit de ma correspondance à La Verrière, je remarquerai trois demoiselles d’une fraîcheur estivale monter à quai, animant leurs gesticulations joyeuses de rires intermittents que le déplacement d’air du train de 21h23 pour Rambouillet entrant en gare interrompra sans tarder. Ses deux feux blancs nous guetteront tout le long de la mise à quai tels deux gros yeux glissant vers nous en nous rappelant, dans une forme des plus symboliques, et malgré la toujours bien curieuse ambiance de la période, qu’on nous regarde…de plus haut ?
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
« levez la tête »
Gare de La Verrière, lundi 03 août 2020
Le train PORO de 13h39 est indiqué en retard à l’affichage. Aucune annonce n’est immédiatement diffusée, puis, sans faire attention aux indications portées sur les écrans, une annonce locale de la gare avise à 13h49 les usagers de la suppression de la marche commerciale suite à un problème matériel à bord du train attendu, immobilisé un temps au Perray en Yvelines. En effet, la rame a rencontré un problème de disjonctions successives entre Rambouillet et Le Perray, puis le conducteur a appliqué son guide de dépannage, mais a eu une nouvelle disjonction, malgré le recours au pantographe de secours. Le train est finalement rendu terminus en gare du Perray, mission modifiée en train vide jusqu’au plateau de Vouillé, aux abords de la gare Montparnasse, pour examen ultérieur. Le train est donc supprimé, mais est-ce repris sur les écrans ?
Après le départ du DEFI de 13h50 pour La Défense et conséquemment à l’annonce de la suppression du Montparnasse de 13h39, un monsieur en attente saisit la borne d’appel d’alarme à quai 2/2 Bis et, au décrochage du service d’urgence, lance à son interlocutrice : « Qu’est-ce que c’est que ces conneries (…) ? ». Le retour de l’opératrice, ferme et déterminé, est sans appel : « Vous levez la tête, il y a marqué Alarme, on gère pas le trafic. ». Terminé pour lui.
Incivilités – malveillance – sûreté
Boire et circuler
Gare de La Verrière, vendredi 31 juillet
Le signalement de la chute d’un homme dans les voies en gare est remonté à l’accueil et porté immédiatement à la connaissance du poste d’aiguillage qui, dans l’attente des constatations plus précises de l’agent commercial, procède pour interdire toute circulation ferroviaire en gare. L’agent dépêché sur place identifie l’individu, qu’il reconnaît. L’homme n’est pas tombé dans les voies mais, manifestement alcoolisé et peinant à se maintenir debout, aurait heurté le train « stationné » à quai voie 2 Bis. Il retire son haut et se met torse nu, semble un peu agité mais sans agressivité particulière. Pour autant, il incommode les usagers présents à quai s’apprêtant notamment à monter à bord du prochain train à destination de Montparnasse, attendu quelques minutes plus tard à peine. Une demande d’intervention de la SUGE est lancée mais aucune équipe n’étant disponible dans l’immédiat, la police n’intervenant pas (ou plus ?) dans ce type de cas par ici (sauf comportement agressif), l’individu titubant montera à bord du train de 14h09 pour descendre à Versailles Chantiers ; un « habitué », d’après l’agent d’accueil…
Entre les dégagements de fumée sur les traverses (cigarettes mal éteintes ?) et les feux de talus aux abords des voies en ces temps particulièrement ensoleillés, l’ivresse de certains devrait leur rappeler qu’ils sont bien peu face à la puissance des éléments. Du léger fumet se dégageant d’une traverse en train de se consumer aux vapeurs alcooliques de nos petites têtes en mal de sensation et d’échappatoire, mes yeux suivent du regard ces âmes égarées et mes oreilles les guettent, m’amusant parfois (honteusement ?) de leurs silhouettes perdues dans un espace public dont il m’arrive d’interroger les limites de l’acceptabilité.
Incivilités – malveillance – sûreté
Forcer n’est pas jouer
Train PYRA de 18h37 au départ de Rambouillet, à destination de Paris Montparnasse, jeudi 30 juillet 2020
Quelque part à bord de la rame VB2N assurant cette mission semi-direct se trouve un groupe d’individus qui, épisode de chaleur oblige, s’amuse à forcer l’ouverture des portes alors que le train roule. Bien qu’en circulation, les portes sont effectivement ouvrables légèrement en s’y mettant à plusieurs, sur ce type de matériel. Le signalement radio du conducteur au poste d’aiguillage de La Verrière sous-entend la relative difficulté qu’il a à poursuivre son parcours dans des conditions normales, et son impuissance face aux forcements d’ouverture des portes répétés depuis Rambouillet qui provoquent l’arrêt automatique de la traction. A chaque tentative d’ouverture par les énergumènes en cause, l’agent de conduite réactive la fermeture des portes au moyen de son commutateur en cabine, et relance la traction dès que possible pour éviter une succession d’à-coups intempestifs. La mission semble délicate, et on s’affaire déjà à demander l’intervention de la SUGE au prochain arrêt possible. Ayant considérablement perdu de la vitesse entre Les Essarts le Roi et La Verrière, la rame traverse cette dernière à faible vitesse, le conducteur aux doigts sans doute crispés sur ses manettes, aux aguets. Mais la suggestion d’un arrêt avant Saint-Quentin en Yvelines ne recueille pas l’acceptation de la régulation de la ligne, postée plus haut à Montparnasse, qui voit déjà venir deux TER à faire passer voie 2 immédiatement derrière.
Notre train poursuivra donc tant bien que mal sa mission directement jusqu’à Saint-Quentin en Yvelines, desservie comme prévu, bien qu’en retard. Les jeunes gens y descendront sans être inquiétés (pas d’équipe SUGE disponible mobilisable) et poursuivront probablement leur chemin dans les douces rues accueillantes des abords de la gare de cette ville nouvelle dont le coeur n’a d’attrayant à mes yeux que son théâtre.
Incivilités – malveillance – sûreté
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
« Sale fils de pute ! »
Gare routière et gare de La Verrière, mercredi 10 juin 2020
Il est aux alentours de 05h50 en gare routière quand j’aperçois un individu courir à vive allure derrière un bus gagnant la voie rapide en direction de Maurepas, commune immédiatement voisine. Arrêtant finalement sa course devant la gare, impuissant et invisible aux yeux du chauffeur déjà loin, je l’entends l’insulter copieusement de « Sale fils de pute ! ». Poursuivant ma marche le plus sereinement possible vers la gare, je me le surveille du coin de l’oeil, le temps d’« apprécier » la force disproportionnée des doux mots raffinés de cette injure excessivement populaire et dont les éclats sonores provoquent en moi une tension non anticipée, accompagnée d’un assombrissement significatif de mon esprit. C’est précisément dans ces moments que la pauvreté du langage de certains nous fait voir leur vrai visage.
En ce tout début de matinée, j’oserais presque un parallèle entre cet accès de nervosité démesuré et le trouble ferroviaire du jour : conséquence des travaux nocturnes de la « suite rapide » (renouvellement voie ballast) et d’un dérangement d’installation (consécutif aux travaux ?), le trafic est fortement ralenti, régularité déjà affectée depuis l’implantation des limitations temporaires de vitesse à 80 km/h dans le secteur, et plusieurs modifications d’itinéraires sont nécessaires pour recaler les trains au mieux dans le plan de transport de la pointe matinale. C’est une matinée compliquée dont il faudra à l’aiguilleur en poste près de 02h30 pour retrouver une situation normale.
La Verrière est un petit nœud où tout va très vite, avec près de 300 trains par jour, un goulot d’étranglement côté province (passage de quatre voies à deux voies), des rames commerciales à sortir, des trains de travaux à garer et des manœuvres traversant toute la plate-forme (triage et zone industrielle de Trappes), le tout géré par une commande informatique d’une technologie des années 1980 à la rigidité implacable. De l’autre côté du quai, avons-nous seulement conscience des manipulations multiples de l’agent posté et du nombre considérable de relations téléphoniques qu’il entretient avec les postes encadrants et les autres services en charge de la gestion des circulations sur la ligne ? Dans un concert de sonneries toutes plus crispantes les unes que les autres ? S’amuse-t-on à penser à ces aiguilleurs qui se plient parfois en quatre pour minimiser les conséquences de l’irrégularité d’un trafic soumis à toutes sortes d’aléas ?
L’agressivité de notre individu plus tôt le matin suivie des difficultés de trafic du jour s’accompagneront plus tard de la découverte de deux banderoles de papier collées en deux points autour de la gare routière, que je lirai, interloqué sans l’être, au vu de la période franchement trouble que nous traversons à nouveau : sur l’une, en lettres capitale, « Quand on aime, on ne frappe pas », sur l’autre, toujours en lettres capitale, « Féminisme décolonial ou rien ».
Nous apprécierons derrière ces banderoles faites maison le sens confus des messages fourre-tout qui mélangent tout, à l’image de l’instrumentalisation et des récupérations actuelles et des parallèles que certains font intentionnellement entre les Etats-Unis et la France, entre la violence des uns et l’agressivité des autres, entre les appels des uns et les revendications des autres, voilant la face de ceux qui ne demandent rien à personne, rien qu’à vivre leur vie sans recourir à ces pseudo porte-paroles de mouvances obscures parlant trompeusement pour eux, assombrissant et gangrenant les moins avisés et les plus naïfs, avec le soutien malicieux et sans faille des « réseaux désociaux », participant du grand effritement à l’oeuvre. Au chemin de fer, les rails qui cassent grippent la machine. Dans la société, les fractures qui s’ouvrent nous perdent.
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Lueur douce
Abords de la ligne Paris Montparnasse – Brest, entre Coignières et Les Essarts le Roi, nuit du mardi 02 au mercredi 03 juin 2020
Vers minuit, alors que je roule en voiture en direction des Essarts par le plateau de jonction de la commune rurale immédiatement voisine, je remarque un objet roulant non identifié aux abords du point kilométrique 36 de la ligne. De l’autre côté du champ qui me sépare de la voie, j’identifie sans tarder le « train usine » en action. Ce train de travaux est depuis déjà plusieurs semaines à l’oeuvre dans le secteur dans le cadre des gros travaux de renouvellement de la voie et du ballast entre Rambouillet et Saint-Quentin en Yvelines. Il remonte la ligne chaque nuit un peu plus. L’amie que je raccompagne est peut-être la première à remarquer la lueur blanche épousant joliment la silhouette de ce train étonnamment long. Tous deux sensibles à ce type d’irruption visuelle à l’esthétique inhabituelle, nous apprécions la surprise du moment. Je marque un arrêt. Nous contemplons à distance cet ovni lumineux qui roule plus qu’il ne vole. Comme en suspension, ses flancs tout éclairés de blanc sur toute leur longueur confèrent à la scène une dimension futuriste. Je regrette de ne pas avoir mon appareil photo.
Je ne reviendrai sur les lieux que deux soirs plus tard, aux environs de 23h45, mais le train fantomatique sera déjà loin, engageant au kilomètre 35 cette nuit-là, soit plus proche encore de Coignières, hors d’accès vu la configuration du terrain. Déçu, je conserverai en mémoire cette image de lueur blanche dans la nuit sur fond de brume poussiéreuse comme une apparition spectrale.
Pour autant, ne m’étant pas équipé pour rien (habillé en conséquence au vu des températures, sac d’appareil photo en bandoulière d’un côté, trépied de l’autre, ceinture jaune réfléchissante à la taille et lampe frontale), pénétrer dans le chemin filant à travers champ et rejoignant le remblai de la voie m’aura fait replonger dans mes escapades ferroviaires annuelles. D’autres engins travaux évoluant sur cette section de ligne avec quelques silhouettes en orange réfléchissant se décrochant discrètement du paysage, je passerai une bonne heure dans l’ombre à capter les mouvements mécaniques d’engins de travaux, dont la bourreuse d’une entreprise privée à l’oeuvre. Dans l’obscurité de la nuit, les lumières blanches, oranges et rouges du chantier matérialiseront un décor onirique qui ne nous est qu’assez rarement donné à voir d’aussi près.
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Temps de regard
Gare de La Verrière, dimanche 17 mai 2020
Peu après 14h00, dans l’espace laissé libre devant le poste d’aiguillage timidement délimité par une grille ouverte à tous les vents, une dame et un jeune enfant font leur entrée, s’approchant raisonnablement de la clôture des voies de chemin de fer pour observer les trains. Le petit garçon paraît tout excité à la vision des quelques rames qu’il aperçoit. Sa voix forte et ses gesticulations amènent l’aiguilleur attentif alors en poste à ouvrir la porte-fenêtre donnant sur eux : un échange de curiosité s’entame. L’enfant semble aux anges lorsqu’il suit du regard les rames entrer et sortir de la gare. Le ballet ferroviaire en ce dimanche n’est pourtant pas très dense en ces temps de reprise progressive du trafic. Le petit, à la fois agité et intrigué, évoque à plusieurs reprises le train pour Marseille, en référence au TGV interconnecté de la liaison quotidienne Le Havre – Marseille, que sa grand-mère présente à ses côtés a manifestement déjà emprunté en gare de Versailles Chantiers. Le garçon est par ailleurs attentif aux annonces sonores, et nous sommes actuellement servis, avec les rappels sanitaires de la période. Une semaine plus tôt, justement, je découvrais la pose de visuels rappelant les mesures sanitaires à respecter dans les transports collectifs à même les portes latérales et les vitres des rames Transilien. Sans surprise, le nombre d’étiquettes et autres stickers informatifs aura donc dépassé le nombre de trains en circulation, reprise progressive du trafic oblige.
Passée cette période inédite de confinement relatif, période qu’il eût peut-être été bon de considérer comme un temps de pause général pour accepter de se replacer dans le temps, la période de déconfinement progressif que nous traversons désormais nous replonge dans les mêmes travers qu’auparavant. Les agités d’avant n’ont pas changé, les incitations à consommer à tout-va regagnent leur place dans les espaces publicitaires, la « petite » délinquance et les incivilités d’avant refont surface, les habituels excités des transports ne cachent pas plus leur colère qu’avant lors des filtrages, les gens que ce monde stressait avant les tend toujours autant sinon plus, et les masques, dont le port dans les transports semble globalement respecté, ne voilent finalement que les douces rides d’expression d’une tension grandissante chez des êtres mis à l’épreuve. Les plaintes et autres râleries bien françaises de ceux qui prennent le même train se mêlent à ceux qui les dirigent, et en interne, à la SNCF, certains des agents de postes d’aiguillage qui tapaient du poing sur la table pour obtenir des masques n’ont, lors des dotations personnelles, jamais daigné les porter, préférant les emporter chez eux pour alimenter leurs réserves personnelles et familiales aux frais de « la grande maison » fragilisée. D’autres agents de ces mêmes postes font du zèle réglementaire dès leur prise de service en prenant un bon quart d’heure pour nettoyer et désinsfecter leurs espaces de travail, ne manoeuvrant aucune installation ni ne répondant à aucun appel radio ou téléphone, entraînant parfois des conséquences dommageables sur le trafic. Une nouvelle fois, un certain « manque de reconnaissance » de la part de leur direction refait surface, et ce fonds de conflit ouvrier contre patron explique ces nouveaux excès de zèle à la prise de service. Les visions entre agents divergent toujours autant et les frictions demeurent donc, imposant aux voyageurs et aux chargeurs une situation dont ils ne sont pas plus responsables qu’avant ces perturbations sanitaires.
Derrière la clôture qui le sépare du spectacle ferroviaire, le garçon émerveillé du début se doute-t-il seulement de la face cachée d’un rail en train de se fendre, en coulisses ? L’image de la branche sciée par ceux-là même qui s’y assoient et qu’il me plaisait jusque-là d’utiliser en observant d’un oeil critique certains cheminots avait ceci de bon que même sciée, la branche repousse. En transposant volontairement la branche en barre d’acier et la scie en disqueuse, ceux qui s’y assoient désormais contribuent donc à la découpe du réseau qu’ils critiquent paradoxalement régulièrement. L’about de rail résultant de cette coupe opérée sciemment dans une plainte faite d’ennui et d’insatisfaction perpétuelle n’est donc rien sans son raccord au réseau désassemblé, qui ne cesse de rétrécir, contrairement à la végétation qui ne cesse de regagner le terrain délaissé par les hommes. En attendant que les masques tombent, seuls les yeux s’expriment. Il serait salvateur que ces regards humains croisés en ces temps encore troublés sur le plan sanitaire expriment la bienveillance dont nous manquons cruellement pour nous recentrer en rompant avec l’ennui général dans lequel nous nous perdons, et le vide dont nous nous rapprochons toujours plus dangereusement. A ce qu’on dit, la nature a horreur du vide, et au fond, nous le savons tous : elle nous remplacera. Dans une esthétique picturale où le temps des coups de pinceau rompt radicalement avec ces images stroboscopiques des plans cinéma n’excédant aujourd’hui que trop rarement les 07 secondes, la végétation remplira ces espaces évidés et, avec l’art qu’on lui connaît bien, saura traverser ces voies délaissées en couvrant cette matière industrielle d’une étoffe naturelle. Je croyais pourtant à une harmonie réunissant les deux. C’est heureusement ce que mes yeux cherchent encore lors de mes itinérances ferroviaires, mais les temps semblent malgré tout perdus.
Le garçon émerveillé du début assistera-t-il à un sursaut salutaire ou, au contraire, à l’effritement toujours plus douloureux d’un monde qui s’effondre d’ennui et de pertes ?
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Des talus sans racine ou l’extinction du domaine de l’être
Autour de l’actualité de mi mars 2020
Dès le vendredi 13 mars, au sein des effectifs de « la grande maison », les préposés à la commande du personnel s’affairent au recensement des agents ayant des enfants et susceptibles de ne pouvoir assurer leur service dès le lundi 16, date annoncée de la fermeture des établissements scolaires par le président de la république dans son discours du jeudi 12. L’épidémie du coronavirus COVID-19 induisant inévitablement la prise de mesures sanitaires, cette annonce invite à s’organiser sans tarder. A l’instar d’autres secteurs essentiels ou presque, au chemin de fer, particulièrement à l’Exploitation, s’adapter en temps réel et minimiser les conséquences d’un impondérable est une attente forte, un principe de base, comme une évidence, parfois comme un jeu…qui n’en est jamais vraiment un. Si s’adapter en opérationnel est une chose, anticiper les besoins et les affectations en est une autre : point d’adaptation opérationnelle sans agent en poste. Et comment anticiper précisément sans connaître l’évolution des mesures à venir ? Le confinement demandé à la population le mardi 17 mars impose désormais de respecter des règles drastiques redoutées par certains. Et nous y sommes : partout les plans de transport commencent déjà à s’alléger, des postes sont figés pour limiter la promiscuité des agents, d’autres sont aménagés en effectifs réduits sous la forme de roulements en alternance (jours pairs/impairs). Lors d’une manifestation de la trouble période mouvementée de l’hiver avec les grèves, je me souviens d’un échange avec un ami dans le cortège, resté dubitatif aux annonces de notre ancienne ministre de la santé. Nous y sommes donc aujourd’hui.
Faisant suite à l’agitation nationale des Gilets Jaunes, au mouvement social de l’hiver, nous voici désormais dans le sable avec cette pandémie. Dans le sable, comme l’éboulement de talus survenu en gare de Sèvres Ville d’Avray le 04 février dernier au moment du passage d’un train pour La Défense, et dont les travaux sont toujours en cours pour rétablir la circulation sur les deux voies. Dans le sable, comme ce déraillement du 13 février à Trappes (triage) où l’agent de manœuvre a tourné l’aiguille sous le train. Dans le sable, comme le déraillement du TGV du 05 mars au niveau d’Ingenheim, sur la ligne à grande vitesse Est, consécutif à un éboulement de talus, ouvrage en terre pourtant visité régulièrement. Etonnamment, je n’ai entendu personne évoquer les conséquences d’un tel événement si la rame avait rencontré un train croiseur…
Dans le sable des intempéries et la tourmente des vents climatiques et viraux, l’Homme doit s’adapter avec ses fragilités, ses intuitions, ses réflexions et sa bêtise. Car on a des abrutis finis qui dévalisent certains rayons sans gêne ni empathie pour leurs voisins. Voilà donc une nouvelle occasion d’observer certains de mes congénères et d’en analyser toute la pauvreté humaine. Ce pays d’indisciplinés m’attriste aujourd’hui gravement. Comme ces glissements de terrains, la devise républicaine française Liberté, Egalité, Fraternité glisserait-elle dangereusement en Agressivité, Incivisme, Individualisme ? En entendre par ailleurs comparer le confinement à de l’enfermement me crispe. Ces gens n’ont rien vécu. Mais connectés et constamment stimulés par l’agitation de notre modernité faussement bienveillante, s’imaginer se retrouver seuls avec eux-mêmes entre quatre murs les insupporte. Alors, aboyant en premier pour impressionner, montrant les muscles, se sentant plus forts que les autres, ils écrasent leur prochain sans ménagement, comme un certain management nous l’apprend par ailleurs, avec cette arrogance et ce manque de civisme bien français qui nous sont toujours reprochés à l’étranger. Des cerveaux sans neurone, des talus sans racine.
Le libéralisme économique, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. De même, le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société, écrivait Michel Houellebecq dans son Extension du domaine de la lutte en 1994. Comme une suggestion d’extension à cet extrait d’une grande force, me vient une formule : le néolibéralisme et l’individualisme poussés à l’excès, c’est l’extinction du domaine de l’être, son extinction à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société.
Il n’y aura ni vainqueur, ni vaincu, mais des êtres disparus.
Incivilités – malveillance – sûreté
Errances nocturnes
Gare de La Verrière, vendredi 31 janvier 2020
A l’arrivée du VERI de 21h56, un individu à bord est identifié par la commerciale titulaire de la gare ce soir-là, accompagnée de l’agent de sûreté de service. Manifestement signalé je ne sais comment par la SUGE plus tôt mais sans s’être fait interpeller, la commerciale et le vigile, partis en reconnaissance, confirment le signalement : l’individu, visiblement alcoolisé, bouteille à la main, vient de donner un coup sur une vitre de la rame, et, sans paraître ouvertement agressif, n’inspire aucune tranquillité. La police est alertée, l’individu étant manifestement résolu à ne pas quitter la gare dans le but de monter à bord du prochain Montparnasse, prévu à 22h09. Le train arrive alors et, de l’autre côté, sur la coursive réservée au personnel qui longe la gare, j’aperçois une batterie d’agents commerciaux de l’équipe mobile du secteur, bavardant sans complexe, laissant le soin à leur seule collègue la gestion du perturbateur du soir pour lequel une rétention du train désormais à quai est demandée pour intervention.
Après ce bel exemple de solidarité chez les commerciaux qui ne me surprend nullement, je quitte les lieux et m’apprête à traverser la gare routière. J’aperçois alors un individu en survêtement à bandes blanches singeant une marche jusqu’à un arrêt de bus, où il se poste en attente.
Depuis le parking de l’autre côté, je perçois les beuglements de « jeunes » et autres étranges cris d’animaux sauvages qu’ils imitent bêtement. Ce chahut nocturne désagréablement perturbateur provient du parking de la cité d’en face, à La Verrière.
Retraversant la gare routière, en voiture cette fois, je capte en visuel l’errance incertaine d’un individu titubant autour d’un arrêt de bus où patientent dans une obscurité relative quelques personnes sans problème.
Il y a des soirs comme ça.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Réharmonie
Train DEFI de 09h50 au départ de La Verrière, à destination de La Défense, vendredi 24 janvier 2020
A Trappes, monte un homme muni d’une guitare acoustique, qu’il accorde dans un coin du niveau inférieur de la voiture où je me trouve assis, parmi un nombre conséquent de passagers. Quelques instants plus tard, le voilà en train de jouer, se mettant à chanter notamment Aicha, de Khaled. Voilà qui me rappelle des souvenirs. En près de vingt ans de transports en commun en banlieue parisienne, je ne me souviens pas avoir assisté à ce type de scène dans un train de l’axe. Si comme les autres je n’ai rien demandé, je reconnais cependant à notre musicien une certaine qualité d’interprétation, trouvant même à cette courte séquence un bienfait : l’ambiance à bord semble changer un peu, modifiée par le caractère inhabituel de la chose et la relative harmonie du moment.
Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Essoufflement lunaire
Train ROPO de 23h35 au départ de Paris Montparnasse, à destination de Rambouillet, jeudi 16 janvier 2020
Monté à bord dans les temps, je m’assois tranquillement à l’étage de la voiture de queue. La rame n’est pas bondée mais ce train pour Rambouillet est le dernier ce soir. Retentit alors la sonnerie d’annonce de départ, un groupe de jeunes gens court et monte à bord in extremis, suivi d’un monsieur d’un âge avancé, tout juste avant la fermeture des portes. Tous halètent comme s’ils venaient de réaliser un marathon ou le sprint de leur vie. Là encore, grève oblige, il s’agit de ne surtout pas rater le train. Le groupe de jeunes gens monte à l’étage et j’en entends reprendre leur souffle exagérément bruyamment, comme s’ils voulaient prendre à témoin de leur exploit les passagers présents. Ils gagnent vite la voiture suivante et, restant à l’écoute, j’entends le monsieur haleter à son tour, en bas derrière moi. Si les jeunes gens précédents pouvaient rire de leur course, je sens dans la respiration animale du monsieur la réaction quelque peu douloureuse à l’effort fourni dans la précipitation. C’est qu’au-delà de l’effort physique des derniers instants pour attraper un train en instance de départ, le stress du raté atteint parfois un tel niveau qu’on ne s’en remet pas immédiatement. Notre homme finit par monter à l’étage, avance de quelques mètres, pose ses affaires sur un siège, prend quelques instants, debout et silencieux, puis, lentement, poursuit sa traversée et s’éloigne pour disparaître et s’éclipser comme le Soleil laisse la nuit la place à la Lune.
A mesure de la progression du voyage, le nombre de passagers décroissant significativement, j’aurai sur la fin une vision cinématographique de la perspective lumineuse du couloir de l’étage de ma voiture ; le parallèle avec le film Moon, de Duncan Jones, me viendra en tête spontanément, et il ne manquera plus que la musique lunaire de Clint Mansell pour habiller la scène.
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Petits voyages
Au fil d’un aller-retour Viroflay Rive Droite – Rosa Parks, vendredi 03 janvier 2020
J’accède au quai pair de la gare de Viroflay Rive Droite en début de soirée, tout juste quelques minutes à peine avant l’arrivée d’un train pour Paris Saint-Lazare qu’il ne me faut surtout pas rater ; en cette période de grève, il s’agit d’être particulièrement ponctuel en cas de rendez-vous. Dans la nuit déjà bien épaisse, l’éclairage de la gare sous la marquise coiffe d’une douceur remarquable les silhouettes des usagers en attente. A bord d’une rame Francilien qui dessert désormais massivement l’axe, je suis sensible à l’éclairage intérieur, aux différents points de lumière finalement assez doux et dont le reflet sur les baies vitrées de la rame se fondent joliment dans l’éclairage public extérieur des villes traversées, que ponctue également l’éclairage intérieur des logements visibles tout le long de la ligne.
A Paris Saint-Lazare, n’y ayant pas mis les pieds depuis un moment, je découvre l’implantation d’une barrière de CAB en sortie ; voilà qui est radical. Passés les portillons de contrôle, cherchant l’accès au RER E, je questionne une équipe de la SUGE en train de bavarder tranquillement. Un agent en particulier, semblant plus enclin aux renseignements, m’oriente efficacement.
Le cheminement d’accès au RER et le remplissage du train dans lequel je monte produisent un contraste implacable avec la première phase de mon parcours : la concentration humaine me rappelle que nous sommes encore en heure de pointe, et en plein Paris.
L’arrivée à Rosa Parks me permet d’apprécier si j’ose dire la station, dans ses espaces et son volume, dimensionnés pour du flux ; Paris 19e…
Au retour sur les coups de 22h00, j’aperçois depuis le train jusqu’à Saint-Lazare quelques individus égarés et perdus, que l’alcool et autres joyeuses substances semblent déjà animer sombrement. Leurs silhouettes errent sur les quais des gares desservies, et la déambulation de ces noctambules parasites confère aux lieux une ambiance propice à un certain sentiment d’insécurité loin de m’être étranger.
Aucun train ne circulant à cette heure depuis Paris Montparnasse en raison du mouvement social, je suis en attente d’une banlieue au départ de Saint-Lazare. Vers 23h00, c’est une même rame Francilien que j’emprunte et, assis au calme devant un couple d’un certain âge, je sors mon carnet d’une poche et improvise avec l’apaisante copine qui m’accompagne depuis le début de soirée un cadavre exquis. Au carré de sièges d’en face, je remarque un petit couple de jeunes gens tout à fait charmant, que la lumière étoilée de la rame à notre niveau semble couver tendrement. Cette paisible scène est soudain légèrement perturbée par les bruits œsophagiens d’une pauvre dame malade et bien mal en point, à quelques mètres de nous.
Ces petits voyages ne se limiteront décidément jamais à de simples trajets en transports en commun.