Chronique (2024)

Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance – sûreté
Omnes docet ubique
Autour de la conférence intitulée « L’aiguillage et son poste : grands oubliés de l’aventure ferroviaire » organisée au Cnam (Paris), jeudi 18 avril 2024
Bien que découvert à peine quelques jours plus tôt par une communication de l’association Rails & histoire, comment ne pas saisir une telle opportunité ? A l’aller, à Montparnasse, je rencontre des difficultés techniques de rechargement de passe pour le métro (les bornes automatiques, leurs écrans tactiles et moi…), me retardant déjà. Je ne suis pas coutumier d’amphithéâtres comme celui de l’abbé Grégoire où se déroule la conférence, arriver en retard à la vue de tous m’est donc forcément désagréable, même si je comprends sans tarder que d’autres me suivront, manifestement sans gêne particulière.
La conférence, organisée au conservatoire national des arts et métiers dans le cadre d’un cycle consacré à « L’aventure des inventions », est animée par le géographe et professeur Francis Beaucire, par ailleurs membre du comité scientifique de Rails & histoire.
La présentation du sujet est assez brève et rapide, prenant comme origine un levier d’aiguillage, déroulant très vite jusqu’à l’automatisation partielle des commandes, expliquant, à travers notamment la citation de grands noms de concepteurs inventeurs du 19e siècle (Fox et Heard Wild en pionniers de systèmes d’aiguillage (bien que rudimentaires et imparfaits), Vignier et Saxby pour les concrétisations ultérieures (et leurs systèmes d’enclenchements, que le conférencier ne précise pas)), comment l’apparition de l’aiguillage permit de faire réseau. Jolie formule, qui en dit long sur l’évolution des technologies permettant aux trains de passer d’une voie à l’autre, et de faire lien, par l’établissement de connexions.
L’aiguille, à l’origine d’aiguillage, désignant le ou les rails effilés et mobiles d’un appareil de voie (permettant un changement (de voie)), apparaît bien plus imagée et poétique que n’importe quelle désignation technique du même appareil chez nos voisins étrangers ; l’aiguille, une particularité linguistique typiquement française ?
Si je m’attendais à un traitement plus approfondi du sujet, sous un angle à la fois plus géographique et technique, exemples d’implantations sur le territoire à l’appui, des points ont par ailleurs retenu mon attention, notamment l’intérêt que porte l’association animatrice de l’événement pour la patrimonialisation de postes d’aiguillage (projet « Remarquables postes »), longtemps délaissés, trop souvent mis de côté. Paradoxal, car point de maillage ni de réseau sans aiguillage.

tract
Source : Cnam

Le deuxième temps de cette « rencontre » est consacré aux échanges avec le public. Les diverses interventions apportent leur petit lot de précisions, où sont par exemple abordées plus ou moins brièvement des notions comme l’électrification des commandes, les enclenchements, le poste à relais à transit souple, les correspondances, les dessertes…et les CCR. Moi qui m’étais dit espérer ne pas entendre parler à cette occasion de commandes centralisées du réseau, me voilà pris au piège. Sur ce sujet, chacun y va un peu de son point de vue, et si les arguments des uns et des autres s’entendent (financements, positionnement de la SNCF par rapport à « l’avancée » dans ce domaine de réseaux étrangers voisins, stratégies industrielles, politiques de maintenance des installations, etc.), je note, sans réelle surprise, que l’annonce de la progressive mais certaine centralisation des installations de commandes d’aiguillages et de signaux en France est perçue par quelques uns de l’assemblée comme une avancée majeure et une nécessité attendues, promotion appuyée des sempiternels arguments vantant modernisation et optimisation de l’exploitation (largement discutable), adaptation (uniformisation) et contrôle des coûts d’entretien à long terme (moins discutable).
C’est au terme d’une présentation en fin de compte plutôt succincte d’un pourtant passionnant sujet et après un temps d’échange grosso modo d’une même durée que la conférence s’achève, certains (et quelques rares certaines) n’ayant pas attendu la clôture de la conférence pour quitter l’amphithéâtre, déjà loin d’être complet.

Au retour, probablement pour ne pas perdre pied vis-à-vis de la réalité parisienne et d’une frange de sa population errante, je surprends, en sortant du métro boulevard du Montparnasse et remontant la rue du Départ, un individu en train d’uriner sans gêne le long d’un mur de la galerie commerciale. Et dans le train du retour, deux jeunes énergumènes en survêtement, montés à Saint-Quentin en Yvelines, s’installent en bas, quelques mètres devant moi. Sans les distinguer parfaitement, je perçois de l’agitation, les deux champions cherchant à n’en pas douter leur public. L’un deux, oreillettes dans les oreilles, se met à chantonner de douteuses paroles émanant de ce que je suppose sans difficulté être un rap de bas étage, mentionnant sans finesse quelques « salope » et « chatte ». Hors contexte et sans préparation amont, l’irruption vocale particulièrement vulgaire de cet abruti écervelé (un de plus), sans vraiment me surprendre, m’irrite quelques instants avant que lui et son complice ne descendent à Trappes, la gare immédiatement suivante.
Plus tard le soir, une source proche me rapportera une scène à laquelle elle venait d’assister dans un métro parisien d’extrême soirée, un début d’altercation entre un sans abri armé d’un objet de type cutter et un usager.
Dans le contexte actuel des maux de notre société et de sa violence parfois tristement banalisée dont les origines ne sont pas si récentes comme on nous le présente parfois (exhibition de couteaux…), ces mises en situation parasites m’apparaissent à l’opposé complet du contexte dans lequel ma conférence m’avait plongé plus tôt : on est alors loin de l’esthétique des ornements et du raffinement de l’amphithéâtre de l’abbé Grégoire du Cnam, établissement dont une des missions principales consiste toujours à faire « du savoir un levier d’émancipation sociale par le travail, en permettant à chacun de construire ses compétences et de s’accomplir professionnellement. »
Je serais curieux de savoir ce que penserait mon chanteur parasite du train de la devise « Omnes docet ubique » mise en avant par le Cnam dans sa présentation historique, et de l’intérêt qu’il porte à l’élévation de l’esprit par la connaissance et l’éducation…

Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Incivilités – malveillance

Rond Point Route D 
Autour du tracé de l’ancienne ligne à voie unique du Vigan à Quissac (section Ganges – La Cadière), 19-22 février 2024
Des raisons familiales m’amenant à retourner vers les Cévennes de façon quelque peu précipitée, me revoilà embarqué dans les complications habituelles de réservation de billets (aller-retour oblige), de surcroît dans un contexte dégradé à cause du mouvement de grève de contrôleurs TGV ayant déjà bien fait parler de lui en amont dans la presse. Mais l’embarquement à bord du TGV finalement réservé à Paris gare de Lyon en ce lundi 19 au matin tôt se fait sans coup de couteau, et c’est heureux.
Une fois sorti de l’enceinte de Nîmes Pont du Gard ou la petite gare TGV isolée au hall ajouré et aux pins clairsemés par laquelle je transite, patientant seul dans le vent mais sous le soleil, une jeune femme aux cheveux bouclés vêtue d’un jean bleu apparaît soudain à distance de moi. Venue de nulle part, marchant seule en face en direction de la ville (Manduel), je la suis du regard jusqu’à disparition sur le pont où sa silhouette s’éteint dans la clarté du jour. Ces jeux d’apparition/disparition m’intrigueront toujours…

Mon « séjour » à Ganges, dans l’Hérault, offre notamment l’occasion d’approcher les emprises de l’ancienne voie unique de la ligne du Vigan à Quissac, exploitée de 1874 à 1969 (année de fermeture au trafic voyageurs) et 1987/89 (années de fermeture aux marchandises, selon la section). La reconversion de la ligne en voie verte, comme il en existe en nombre sur le territoire tant cette réaffectation est devenue tendance, permet cependant des accès assurément confortables et sécurisés (fléchages, indications, enrobé lisse, garde-corps (bien qu’étonnamment hauts), aménagements divers).

enrobé en tranchée
Sur les traces d’emprises de l’ancienne ligne du Vigan à Quissac, section Ganges – La Cadière, voie verte Février 2024

La réfection des ouvrages d’art est visible, la voie verte étant encore récente, et si je note par exemple un tablier en béton au premier ancien pont-rail rencontré lors d’une brève incursion à Moulès et Baucels dans le sens de la ligne, les parements en pierres sont cependant d’origine, mais restaurés ; salutaire.
Par manque de temps consacré, je n’approche pas l’ancienne gare de Ganges au cours de ma présence dans le secteur, mais l’ancien viaduc ferroviaire à 4 arches immédiatement voisin, que la route vers Sumène borde au point de son amputation, ne manque pas d’attirer mon attention : recouvert partiellement d’une végétation sans doute foisonnante l’été, l’ouvrage semble se fondre dans le décor, à la fois insignifiant dans la configuration actuelle en ces lieux et parfaitement ancré dans le paysage.

pont maçonné
Depuis la voie verte côté Vigan, Ganges (Hérault), la direction de Quissac est à gauche de l’ouvrage Février 2024

En s’intéressant au retour par car régional de la ligne 140, bien qu’ayant identifié en amont l’arrêt « Rond Point Route D » à Ganges sur les tableaux horaires du transporteur, il est impossible de le localiser sur place. Un appel à « liO Occitanie » et mon interlocuteur de m’inviter à télécharger une application…cette suggestion fera l’objet dès mon retour d’une remontée sous la forme d’une remarque via le formulaire dédié de leur site en ligne, restée sans réponse au moment de la rédaction de ce passage.
Le plus simple et le plus fiable étant donc de se débrouiller par ses propres moyens, l’option retenue est de me faire déposer à l’unique arrêt quelque peu isolé de Moulès et Baucels, soit la commune voisine dans le sens intéressé. Mon complice familial à qui je dois ce dépose-minute saisit l’instant, moment d’attente et de tension caractéristique de guet avant que le car attendu ne glisse jusqu’à l’arrêt dans une élégance proche de celle de ces poids-lourds aux cabines à suspension. Par l’isolement de l’arrêt de bus, quelque part le long d’une départementale, solution de transports collectifs quasi unique en substitution du transport ferroviaire neutralisé des décennies plus tôt, ce cliché en dit long sur les pérégrinations de gens dont je suis, usager lambda de mon état.

A l’arrêt « Caserne » de Saint-Hyppolite du Fort, une opération de contrôle des titres de transport par une équipe que je suppose être volante, impose à au moins un passager une régularisation…nous avons déjà 13 minutes dans la vue, l’individu en question semble ne pas s’exciter de la situation et demande finalement à descendre chercher 2 € dans ses affaires rangées en soute. La politique tarifaire pourtant franchement incitative à mes yeux ne semble manifestement pas permettre d’éviter tous les contrevenants. Une fois reparti, j’entends un jeune homme causer avec un autre plus loin derrière moi, relatant le contrôle (non sans viser les employés concernés), évoquant une application permettant de payer (régularisation), et ne tardant pas à faire profiter ses voisins d’un rap peu délicat depuis son téléphone (qu’il maintient cependant à volume modérément doux). Un peu plus tard, je note l’inclination musicale discutable de notre chauffeur (Fun Radio et ses étonnantes reprises électro dance). Une fois en ville (Nîmes ou périphérie immédiate), ce que je suppose être notre premier énergumène, critique sur les contrôleurs, s’adresse depuis la rue au conducteur en le tutoyant familièrement, lui faisant remarquer ne pas avoir apprécié qu’il lui referme la porte arrière sur lui lors de sa descente. Je le suis alors du regard en le détaillant : petite coupe de cheveux colorée tendance, lunettes à verres teintés, tenue de survêtement, démarche traduisant la confiance (excessive), il traverse la chaussée en s’allumant nonchalamment une cigarette. Malgré le ton menaçant, seul son accent m’aura dépaysé de ma banlieue parisienne un instant lors de cette brève altercation. Cet individu aura-t-il seulement eu conscience qu’une bonne partie de son parcours effectué par la route ne faisait que longer, de près ou de loin, le doux tracé d’une ancienne ligne ferroviaire au charme certain aujourd’hui en bonne partie elle aussi recouverte d’asphalte ? De quoi en profiter pour méditer sur les choix opérés dans les transports en commun au fil des décennies, et les coûts réels des transports et des douteuses comparaisons entre modes selon ce qu’on y intègre…car comparer ce qui est comparable ne semble guère arranger tous les décisionnaires, en la matière.
C’est en fin de compte avec une dizaine de minutes de retard que nous arrivons en gare routière de Nîmes Centre, à près de 3 minutes à peine avant le départ de mon TGV que j’ai de justesse suite à un rapide filtrage d’accès aux quais et un empressement certain, conséquence triple du trafic en zone urbaine et de la signalisation, de la réactivité bien relative du chauffeur de car en ville et du retard engendré par le contrevenant lors de l’opération de contrôle à St-Hyppolite.

Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Givrée
Au sujet des aléas climatiques sur les axes des lignes de l’ouest francilien du réseau Montparnasse, jeudi 18 janvier 2024
Si la neige n’est tombée que modérément dans la nuit, les annonces météorologiques ont cependant été claires, et le givre s’est fixé trop parfaitement sur les caténaires, dont la pluie verglaçante a renforcé l’action. Les premiers trains pairs du matin sur l’axe de Paris Montparnasse au Mans accusent déjà des retards conséquents à 06h00 : plus d’une heure par exemple pour la première banlieue en provenance de Rambouillet desservant théoriquement la gare de La Verrière à 04h54, plus d’une heure également pour les deux premiers TER suiveurs de l’extrême matinée respectivement en provenance de Chartres et du Mans, et un dégarage en travers de l’entrée/sortie du triage de Trappes, à cheval sur les voies d’accès au faisceau de stationnement et les voies principales, privant de fait la continuité de la 2 Bis, lui valant une tentative finalement réussie malgré les contraintes de retour en arrière suivant le parcours inverse de l’itinéraire existant, procédure incombant davantage à l’aiguilleur en service posté à La Verrière qu’au conducteur se « contentant » d’un ordre. Des retards liés aux difficultés de traction du jour s’accumulent par ailleurs du côté des axes de Plaisir/Dreux.
La première banlieue avançant péniblement et progressivement jusqu’aux Essarts le Roi, puis Coignières, puis La Verrière (vers 08h45 seulement), où elle sera rendue terminus, se verra qualifier par son conducteur de « train de l’enfer ». Le premier TER suiveur suivra, sur les coups de 09h00, terminus lui aussi à La Verrière, ces deux trains vidés de leurs voyageurs, les « hautes instances » préférant assurer la sécurité en s’évitant d’expédier la moindre circulation commerciale en direction de Paris comme dans le sens impair au risque de devoir évacuer leurs occupants en cas d’arrêt en pleine voie à cause des conditions météo rendant la traction électrique trop difficile (disjoncteurs impossibles à refermer en raison de l’épaisseur de la glace agissant comme isolant entre le fil de contact des caténaires et les pantographes) ; il est des fois où l’on apprécierait disposer de rames bimode…
En terme de communication, l’affichage et les annonces n’apportent pas toujours l’éclairage adéquat sur la situation, n’explicitant pas systématiquement l’origine du problème impliquant une réelle paralysie du trafic (du jamais vu, de mémoire personnelle d’usager), car communiquer sur les conditions climatiques difficiles ne peut se suffire au vu du peu de neige tombée, la cause bien réelle étant bien plus le givre formé autour des fils de cuivre des lignes aériennes de contact que l’épaisseur très relative du matelas neigeux du matin.
Une question givrée mais persistante s’impose alors aux plus observateurs : où sont les trains racleurs qui circulaient pourtant avant, dans le but d’éviter de tels dysfonctionnements ? La SNCF est bien toujours capable de faire circuler des trains laveurs lors des campagnes automnales (feuilles mortes), pourquoi diable n’y a-t-il pas eu de train racleur ce jour ? Souffririons-nous de problèmes d’effectifs, de disponibilités d’agents (et de leur bonne volonté), et/ou de moyens techniques défaillants ou insuffisants, ou encore d’un manque d’anticipation ?
En différents points des axes ferroviaires de cet ouest francilien (pour n’évoquer ici que ce secteur), des méthodes de dégivrage des caténaires sont progressivement mises en œuvre là où c’est envisageable, imposant par endroits l’abaissement des pantographes des trains arrêtés (il s’agit dans ce cas d’une méthode consistant à établir une boucle d’alimentation dans laquelle une forte intensité est maintenue, provoquant le réchauffement des caténaires, où du matériel (installation fixe de dégivrage) et du personnel (caténairistes) pour la surveillance du fil de contact sont nécessaires), en d’autres l’effacement d’une sous-station au profit de celle située en aval dans le sens de la circulation (il s’agit là d’une méthode consistant à appeler le courant par le premier engin moteur présent, provoquant le réchauffement des caténaires, sans matériel (autre qu’une circulation électrique) ni personnel complémentaire requis).
En cette matinée de semaine de mi janvier de cette nouvelle année, la section de ligne de Trappes/La Verrière à Rambouillet verra passer de 6 à 7 trains seulement en 6 heures, tous sens confondus, avant la reprise du trafic normal, après midi, suite aux constatations des circulations expédiées à vide en reconnaissance, après dégivrage en partie naturel.

Par ailleurs, les quais de gares de la ligne pas tous parfaitement déneigés (parfois partiellement) amèneraient les plus observateurs à une réflexion similaire à une question posée plus haut : souffririons-nous là aussi de problèmes d’effectifs, de disponibilités d’agents (et de leur bonne volonté), et/ou de moyens techniques défaillants ou insuffisants, ou encore d’un manque d’anticipation ? Vous avez 6 heures.