Chronique (2025)

Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Mitigée
Autour de la publication par la Fondation Jean Jaurès d’un texte intitulé « Le fer avec les territoires », une contribution de Jean-Pierre Farandou, président du groupe SNCF, février 2025
S’inscrivant dans la continuité d’une première tribune intitulée « Le fer contre le carbone » en 2022 où le même président adossait sa vision au plaidoyer des compagnies de chemins de fer européennes quant à afficher la volonté commune d’augmenter la part modale du ferroviaire (et donc le report) visant la réduction des gaz à effets de serre (directs), ces nouvelles « Réflexions personnelles sur le rôle du train au service des territoires et de la qualité de vie » émanent d’un auteur en apparence va-t-en-guerre à valoriser le rôle du groupe SNCF (et non du seul ferroviaire, bien que le sous-titre le laisse supposer) en faveur des « territoires » qu’il contribue à soutenir ; soit.
Mais si rendre le rail plus attractif pour les passagers et les chargeurs est louable (« utiliser au maximum le potentiel du rail », dans le plaidoyer européen), la densité de circulations devrait ne jamais cesser d’occuper l’esprit des décideurs, l’offre de transport (et sa fiabilité) étant déterminante pour capter le client potentiel. L’offre est néanmoins encore actuellement bien trop déséquilibrée d’un « territoire » à l’autre et clairement sous-dimensionnée par endroits pour rendre le mode ferroviaire attractif.
L’emploi d’éléments de langage devenus dénués de sens à force de répétition comme « l’expérience de voyage » et la « digitalisation » à marche forcée, notamment de la billetterie et de la réservation dont on ne cesse de vanter les bienfaits de sa numérisation (et du client bon à tout faire en lieu et place de l’opérateur), lassent, d’autant que la tendance des prix et des tarifs des prestations est rarement à la baisse.
La recherche de productivité, sans être fondamentalement dénuée de sens, a cependant ses limites, et une trop grande automatisation consiste toujours davantage à éloigner l’Homme de lui-même : attelages automatiques, plateformes numériques de gestion, exploitation automatique des trains (cantonnement), omettant (à dessein ?) de préciser que l’automatisation comme la « digitalisation » à outrance ne vont pas systématiquement de pair avec efficacité. La présence humaine en autant de gares dites ouvertes au service de la circulation depuis désertées permit par exemple nombre de croisements en régime de voie unique et donc de densifier le trafic, et je doute fort que partout où le block automatique a été installé, l’utilisation du potentiel de l’infrastructure en régime de double voie ait toujours été à son maximum…

Au fil de la lecture de cette nouvelle publication, intention salutaire remarquable, Jean-Pierre Farandou redéfinit des notions et procède de quelques rappels historiques bienvenus : les « territoires » et leur imaginaire collectif, la mobilité et ses enjeux, des dates repères du ferroviaire en France, les futurs services express régionaux métropolitains ou SERM, les principaux types d’organisation du système ferroviaire français que sont le service librement organisé ou SLO (exclusivement commercial, aucune subvention, « yield management ») et le service conventionné en délégation de service public ou DSP, rappelant l’officialisation de leur ouverture à la concurrence.
L’auteur s’attache ensuite à préciser quatre défis concourant à l’aménagement du territoire, attirant l’attention du lecteur sur le risque de paupérisation d’une fraction non négligeable du réseau classique (ce que plusieurs audits et rapports ont déjà pointé par le passé), sur le risque de déséquilibre et de manque de cohérence à venir des correspondances (conséquences à vigiler des nouvelles responsabilités des régions autorités organisatrices et de leurs services de transport ouverts à la concurrence par lots à potentiellement plusieurs opérateurs dont les missions étaient jusque-là remplies par SNCF Voyageurs), puis sur l’hégémonie du transport par route et l’importance du report modal vers le rail (et de propositions pour y parvenir comme imposer de plus fortes contributions au transport routier aux coûts externes et à l’usure de la voirie – bon courage…), enfin sur la péréquation du TGV et les menaces qui pèsent sur ce modèle de compensation entre les liaisons TGV rentables et celles ne l’étant pas (conséquences redoutées du positionnement d’opérateurs ferroviaires autres sur des axes rentables à l’exclusion de tout autre, laissant la seule SNCF Voyageurs en charge des liaisons non rentables).
Au travers de formules aussi diverses et fruitées que « La mobilité est un facilitateur indispensable qui se couple avec la logistique », « rééquilibrage modal » ou encore « une colonne vertébrale ferroviaire décarbonée à la mobilité des biens et des personnes dans l’espace européen », Jean-Pierre Farandou pointe une « urgence du diagnostic » en faveur de l’aménagement du territoire et de la qualité de vie ; manifestement pas exclusivement français ni strictement ferroviaires (« diversité des solutions », « des navettes capables de circuler à la fois sur les rails et sur les routes, les Flexy », « une Europe du rail solide et attractive », « J’ai foi en l’aménagement du territoire (…) Le ferroviaire et le groupe SNCF y ont toute leur place »). L’auteur confirme cependant son « ambition de doubler la part modale du ferroviaire ».

Orientations stratégiques ou simples effets d’annonces, l’avenir nous le dira. On peut néanmoins s’interroger quant à l’« égalité dans la considération des besoins » (selon les dires de Jean-Pierre Farandou) et la diversité des propositions de mise en œuvre, notamment techniques, comme les « projets prometteurs » de voir circuler à l’horizon 2028 et 2029 sur certaines de nos lignes actuellement faiblement circulées de drôles d’engins non alimentés par caténaire au design rétrofuturiste et porteurs de dénominations à l’anglaise…parce que ça fait bien.
A l’instar du programme « Place de la gare » accompagnant le changement d’usage de petites gares s’éloignant de leur mission ferroviaire première, nous assistons progressivement mais activement à des changements d’usage du train et de ses profils. Accompagne-t-on ainsi les changements de société en cours ?
Par ailleurs, faire valoir le renforcement du maillage territorial qu’apporteraient les nouveaux projets de lignes à grande vitesse, pourtant mis en suspens un temps, semble vouloir masquer le maillage d’antan et encore partiellement persistant du réseau classique pourtant enclin à désenclaver lesdits territoires ; question de volontés politiques…et d’entretien du réseau, donc de gros sous et de recours à des prestataires externes au gestionnaire d’infrastructure qu’est SNCF Réseau pour le réseau ferré national.
Si comme l’auteur l’écrit, « la désindustrialisation, les délocalisations, ou encore la fermeture de certains services ont laissé des traces », « chercher à le servir et à lui être utile [territoire] » semble salutaire, d’autant plus en visant le doublement de la part du transport par fer, qu’il soit assuré par l’opérateur historique comme par les nouveaux entrants. Mais y parviendrons-nous vraiment un jour ?
Après sa tribune de 2022 sur la transition écologique, le président du groupe SNCF (loin de n’être que ferroviaire) plaide cependant ici en faveur d’investissements dans le rail, nous partageant ses hypothèses et projections en matière d’aménagement du territoire. Conclusion ? Mitigée.

Emprises & dépendances – divers – voyageurs
Crépusculaire
Sur les traces de l’ancienne ligne de Salins les Bains à Levier (Lemuy), mercredi 1er janvier 2025
Si ce n’est pas la première fois que je me balade sur le chemin du tracé historique du tacot, ancienne ligne à voie unique à écartement métrique reliant autrefois Salins et Levier, alors exploitée par la compagnie des Chemins de Fer d’intérêt local d’Andelot à Levier, c’est bien une première pour moi que de m’y rendre en plein hiver.
Une toute fin de journée en « errance » en solitaire dans le village de Lemuy et me voilà abordant l’ancienne gare, habitée, mais dont les emprises sont décidément toujours aussi peu entretenues, convoquant cependant un souvenir parfaitement évocateur en référence à une image extraite du très beau film L’aiguilleur, de Jos Stelling, où la silhouette de la gare de montagne écossaise, à l’exploitation en sursis dans le récit, se détache dans l’ombre d’un ciel aussi coloré que ténébreux. Beauté crépusculaire, combien de temps encore ?

voie ferrée, gare
La gare isolée dans L’aiguilleur (Jos Stelling, 1986), capture

Je poursuis ma marche songeuse et tranquille jusqu’à l’orée de la forêt voisine (le Franois), au crépuscule de cette première journée d’une nouvelle année, dont la neige présente et le froid renforcent l’atmosphère poétique.
Le silence qui m’accompagne m’est alors autant bienveillant par la tendresse de sa présence apaisante qu’attristant par l’absence d’êtres chers et les relations perdues dont il se fait insidieusement l’écho. Qui sait si sur le tracé de cette ligne défunte, d’autres silhouettes dansent au crépuscule, s’amusant peut-être de ces questionnements humains sans fin sur les rencontres, le sens de nos existences et leurs troubles chemins ?

Au retour par la route et non la voie, jeudi 02 janvier, c’est depuis l’A6 à hauteur d’Achères la Forêt en Seine et Marne que mon balayage oculaire identifiera furtivement, au sillon formé dans la végétation entre deux champs en contrebas de l’autoroute, un tracé laissant supposer l’existence passée d’une ligne ferroviaire, que mes recherches ultérieures confirmeront, correspondant à la ligne de Bourron Marlotte Grez à Malesherbes, dont la section nord est effectivement fermée aux voyageurs et aux marchandises respectivement depuis 1937 et 1950 ; c’est une obsession…